Adapter le parc de production nucléaire et thermique
au dérèglement climatique
directrice RSE et du projet ADAPT, Direction de la Production Nucléaire et Thermique, EDF
Avec des ouvrages dont la durée d’exploitation pourrait dépasser 60 ans et la programmation de nouveaux réacteurs qui pourraient être encore en fonctionnement à la fin du siècle, le groupe EDF prend en compte les conséquences physiques du dérèglement climatique pour concevoir et adapter ses installations. Le programme ADAPT et le plan EAU s’attachent à renforcer la résilience du parc de production nucléaire en prenant en compte les écosystèmes et en préservant la ressource en eau.
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© thomasthzac23. La R&D et la DPNT d’EDF étudient la restauration de ripisylves (végétation des bords de cours d’eau) pour atténuer le réchauffement de l’eau. Une étude menée sur les affluents de la Garonne près de Golfech montre que ces formations arborées permettent de réduire la température de l’eau jusqu’à 1,5-2 °C en été.

Dès la publication du premier rapport du GIEC en 1990, le groupe EDF a mis en œuvre des projets de recherche sur le changement climatique. Il s’est doté en 2014 d’un service climatique regroupant des projections issues des exercices internationaux et des outils à l’état de l’art permettant d’en décliner les résultats à l’échelle de ses activités. Ce dispositif a permis de développer une compétence reconnue internationalement. Il assure aussi la cohérence des études au sein d’EDF.

La canicule de 2003 a renforcé la prise de conscience des conséquences concrètes du dérèglement climatique. Elle a conduit à vérifier l’adaptation du parc nucléaire en exploitation face à des températures extrêmes de l’air et élevées de l’eau. Un nouveau référentiel a alors été mis en place, accompagné d’un programme industriel d’ampleur baptisé “plan grands chauds”. En 2020, la Direction de la Production Nucléaire et Thermique d’EDF a lancé le programme ADAPT. Celui-ci vise à analyser le niveau d’adaptation du parc au changement climatique pour établir un état des lieux des vulnérabilités potentielles et proposer un plan d’action pour les résoudre. La démarche intègre l’ensemble des dimensions, de l’ingénierie à la géopolitique de l’énergie, et prend en compte les caractères évolutifs et écosystémiques du changement climatique. Elle vise à sécuriser la capacité de production des sites nucléaires et thermiques.

ADAPT repose sur les valeurs de service public et d’intérêt général. Il se structure autour de la préservation de l’habitabilité des territoires et implique la protection des écosystèmes, qu’ils soient naturels ou socio-économiques. Cela concerne tout particulièrement la biodiversité, la séquestration carbone et l’adaptation des milieux.

 

Conforter un parc résilient

 

Dès sa conception, avec la prise en compte de niveaux d’aléas décamillénaux (1 chance sur 10 000 de se produire chaque année) pour la démonstration de sûreté, et durant toute la durée d’exploitation d’une centrale, la dimension climatique est intégrée : visites décennales qui réévaluent les niveaux d’aléas liés aux agressions externes, veille climatique quinquennale, suivi continu des événements extrêmes et retour d’expérience annuel.

Adaptation et atténuation sont complémentaires. Avec moins de 4 grammes de CO2 émis par kWh pour le parc français, comme le montre une analyse de cycle de vie réalisée en 2021 et validée par une revue critique, le nucléaire fait partie des solutions. Il ne peut cependant agir seul. La question du dérèglement climatique est écosystémique et concerne l’ensemble des acteurs des territoires ainsi que les grandes infrastructures de réseau.

Comme pour tout moteur thermique, une centrale nucléaire tire profit pour produire un travail d’une différence de température entre une source chaude (le cœur du réacteur) et une source froide (le circuit de refroidissement). Le refroidissement des centrales nucléaires peut se faire : 

  • à travers des circuits ouverts, qui apportent l’eau de la source froide directement dans le condenseur et la rejettent dans l’environnement. Ils sont présents en bord de mer ou sur certaines centrales du Rhône ;
  • à travers des circuits semi-fermés, dont l’eau de refroidissement circule en boucle entre le condenseur et un aéroréfrigérant qui évacue la chaleur par évaporation, mais qui conduit à une concentration notamment du calcaire et impose des purges pour déconcentrer le circuit. Ces purges forment des rejets thermiques, échauffant en moyenne les cours d’eau de quelques dixièmes de degrés après mélange.

La puissance thermique du cœur est constituée pour l’essentiel de la puissance dégagée par la réaction en chaîne, et de manière minoritaire par la puissance résiduelle des produits de fission. Cette puissance résiduelle est de l’ordre de 7 % à l’arrêt du réacteur, et diminue rapidement. Si des centrales doivent être arrêtées en période de forte chaleur, ce n’est donc absolument pas pour des raisons de sûreté, mais exclusivement pour des motifs environnementaux et réglementaires. Il convient à cet égard de s’interroger sur la pertinence des seuils actuels dans un climat en évolution, tout en garantissant l’absence de conséquences des rejets thermiques sur l’environnement et en traitant techniquement la question des purges.

Les conceptions des centrales ont su s’adapter aux contraintes locales. C’est le cas de Civaux, sur la Vienne, dont les débits peuvent être faibles en été. La centrale a été dotée d’une source froide de sûreté avec des capacités de stockage permettant d’alimenter les systèmes de sûreté pendant au moins dix jours sans pompage dans la rivière.

De nombreuses solutions d’adaptation pour le refroidissement existent à travers des technologies industrielles : augmentation du facteur de concentration dans les aéroréfrigérants, réutilisation des eaux usées, aéroréfrigérants économes en eau (technologies sèches ou hybrides humides/sèches), aéroréfrigérants de purges, brumisation, échangeurs plus performants, groupes froids. Ces systèmes permettent concrètement de réduire l’empreinte hydrique du refroidissement.

Ainsi, la centrale thermique de Kendal en Afrique du Sud utilise un refroidissement sec, où l’air extérieur n’entre pas en contact avec l’eau qui est refroidie à travers un échangeur, donc sans évaporation. La centrale nucléaire de Palo Verde, la plus grande des États-Unis, construite dans le désert de Sonora à l’écart de toute source d’eau naturelle, utilise les eaux de stations d’épuration pour son refroidissement, notamment celles de la ville de Phoenix. L’eau de refroidissement est traitée en amont, ce qui lui permet de recirculer bien davantage et réduit ainsi les volumes prélevés et rejetés lors des purges. On pourrait également citer les centrales de Barakah aux Émirats arabes unis ou de Taishan en Chine, qui connaissent des températures très élevées.

EDF promeut des contributions positives au cycle de l’eau, basées préférentiellement sur des projets de type Solutions Fondées sur la Nature.

Prendre en compte les écosystèmes

 

La biodiversité – La R&D d’EDF suit l’évolution des espèces aquatiques à proximité des centrales depuis plusieurs décennies. Cette base de données, précieuse et unique au monde, permet de montrer que le changement climatique induit bien des évolutions des espèces aquatiques, mais que les réponses écologiques à l’effet thermique ajouté des centrales restent ténues et localisées sur quelques kilomètres en aval des rejets.

L’ancrage territorial – Une centrale influe durablement sur son territoire d’implantation. Elle en est souvent le premier employeur et s’avère indispensable à son équilibre économique. Centrales et territoires sont interdépendants : la centrale apporte emploi et activité économique, tandis que le territoire fournit une infrastructure essentielle à son bon fonctionnement. La centrale dépend ainsi des routes et des ponts pour acheminer matériel et personnel. Autre exemple : lorsque les écoles ont fermé lors de la crise du COVID, il a fallu trouver des solutions de garde d’enfants pour que le personnel puisse se rendre au travail. Il est donc important que les écoles s’adaptent également pour faire face aux canicules.

Concernant le risque de submersion marine, si le sujet de la sûreté nucléaire est traité par la hauteur de la plateforme, des digues et des moyens exceptionnels d’approvisionnement renforcés par les mesures post-Fukushima, ce n’est pas seulement la centrale qui doit être préservée, mais l’ensemble du territoire. C’est pourquoi une vision partagée est nécessaire pour contribuer ensemble à l’adaptation au changement climatique.

Par ailleurs, EDF promeut des contributions positives au cycle de l’eau, basées préférentiellement sur des projets de type Solutions Fondées sur la Nature : restauration de zones humides et de tourbières, préservation de forêts (comme à Chooz), ou de ripisylves avec revégétalisation des bords de rivière sur les affluents de la Garonne (voir photo), etc. Ces projets ont des effets combinés sur l’eau, la biodiversité et le carbone, mais présentent aussi des intérêts pour la résilience des installations, par exemple à travers la baisse de température des cours d’eau ou la résilience des écosystèmes face aux incendies.

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Infinite Cooling est un système qui permet de capter les gouttelettes d’eau dans les tours aéroréfrigérantes. Il est actuellement en test sur un banc d’essai installé à la centrale de Bugey pour vérifier son efficacité et étudier son déploiement industriel.

Préserver la ressource en eau

 

Le changement climatique va engendrer une augmentation des températures des cours d’eau, des étiages plus longs et plus sévères, ainsi que des besoins potentiellement accrus pour les autres usages : milieux aquatiques, eau potable, irrigation, industrie, etc. Cette diminution de la ressource disponible va créer des situations de stress hydrique, en particulier pour le secteur de l’énergie, premier préleveur en France.

Les prélèvements et consommations d’eau douce couvrent plusieurs besoins : les eaux de refroidissement, les eaux industrielles et déminéralisées, l’eau potable et l’eau des circuits incendie.

À cet effet, EDF déploie une démarche de sobriété hydrique qui inclut une meilleure comptabilisation des flux d’eau et la recherche d’une amélioration de l’efficacité de leur utilisation : traitement des fuites, optimisation des process, recyclage et réutilisation, récupération d’eaux pluviales, etc.

La sobriété s’applique à l’ensemble des interactions entre la production nucléaire et la ressource, et recouvre trois dimensions : les prélèvements, les consommations d’eau et les rejets chimiques et thermiques.

Le plan EAU de la DPNT vise à réduire les prélèvements d’eau, optimiser les rejets, renforcer la résilience des installations et contribuer à la préservation de la ressource en eau, essentielle à la biodiversité et aux autres usages. L’ensemble de ces actions s’inscrit dans une dynamique de collaboration et d’engagement en faveur d’une gestion durable du grand cycle de l’eau.

EDF participe à la gestion de l’eau, notamment à travers ses installations hydrauliques dont les deux tiers assurent des missions complémentaires à la production d’énergie : soutien d’étiage, lutte contre les inondations, développement touristique, etc. EDF contribue également au financement des missions assurées par les Agences de l’Eau.

La question de la ressource en eau dépasse le périmètre des centrales. Elle doit être traitée à l’échelle des bassins versants, dont les limites géographiques dépassent les frontières administratives. Ainsi, il convient par exemple d’intégrer l’importance de la gestion du Léman dans les débits du Rhône, ainsi que les accords transfrontaliers avec la Belgique ou le Luxembourg dans la gestion des consommations des centrales sur la Meuse ou la Moselle.

 

Le programme ADAPT pilote, avec le service climatique de la R&D, la construction d’un corpus de données climatiques qui vise à garantir la cohérence et la traçabilité des hypothèses sous-jacentes. Il identifie et expérimente différentes solutions techniques, depuis Infinite Cooling pour récupérer une partie de l’eau des aéroréfrigérants jusqu’au développement de ripisylves pour limiter l’évaporation et l’élévation de température tout en préservant la biodiversité. ADAPT initie également des démarches et des investissements structurants. Ces expérimentations sont destinées à être poursuivies ou non par les entités opérationnelles de la Direction de la Production Nucléaire et Thermique.

La démarche ADAPEX, lancée en juin 2025 en tant qu’exercice annuel, met en avant les futures dépenses d’adaptation au changement climatique face aux aléas et à leur évolution, ainsi que celles nécessaires à la préservation de la ressource en eau.

C’est à travers ces différents éléments qu’EDF intègre l’adaptation du nucléaire au dérèglement climatique dans sa dynamique de service public au service de la compétitivité et de la stabilité, pour construire un avenir décarboné.

Catherine Halbwachs
Catherine Halbwachs
Ingénieur en agronomie et titulaire d’un DEA de physique nucléaire appliquée, Catherine Halbwachs est aujourd’hui directrice de la RSE et du projet ADAPT à la Direction de la Production Nucléaire et Thermique d’EDF. Elle a toujours été impliquée pour la préservation de l’environnement, que ce soit à la direction de la stratégie d’EDF, dans ses missions régionales à la Caisse des dépôts Grand Est, au sein de TIRU (spécialiste de la valorisation énergétique), à la mairie de Strasbourg ou dans ses engagements syndicaux et associatifs.
Bruno Le Corfec
Bruno Le Corfec (P19)
Bruno Le Corfec a débuté sa carrière chez EDF en 2023 au sein de l’équipe ADAPT à la Direction de la Production Nucléaire et Thermique, où il pilote plusieurs actions en faveur de l’adaptation au changement climatique.
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