Diplômé de l’École Normale supérieure (Thèse au Laboratoire Central de Recherche du Groupe Thomson).
1992-2001 Chercheur en physique quantique chez Thomson CSF (aujourd’hui Thalès).
2001-2009 Enseignant à l’Université Paris VII Diderot, puis Directeur du Laboratoire Matériaux et Phénomènes quantiques, puis responsable de l’UFR de Physique.
2009-2013 Directeur de l’Université Paris VII Diderot.
2012 Rapporteur général des Assises de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
2013-2015 Conseiller auprès du président de la République, en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ainsi que de l’éducation à partir de 2014.
2015-2019 Directeur de la Recherche fondamentale au CEA.
2020 Nommé conseiller maître à la Cour des comptes.
13 septembre 2023 Haut-Commissaire à l’Énergie atomique, rattaché au SGDSN, sous l’autorité du Premier ministre.
Pourriez-vous tout d’abord nous rappeler les missions du Haut-Commissaire ?
Selon le Code de l’Énergie, le HCEA conseille le gouvernement sur le plan scientifique et technique, sur le nucléaire et certains domaines de la défense nationale. J’émets donc des avis d’ordre technique à l’attention des membres du gouvernement. Je participe également à l’organisation du Conseil de Politique Nucléaire, qui se réunit périodiquement sous la présidence du chef de l’État, et j’assure le suivi des décisions qui y sont prises.
Les parlementaires ont ajouté à ces missions l’émission d’avis sur les lois de programmation sur l’énergie et le climat et sur la programmation pluriannuelle de l’énergie. Ces avis peuvent d’ailleurs être éventuellement critiques vis-à-vis d’une politique du gouvernement, quand bien même je suis sous l’autorité du Premier Ministre.
Je m’appuie sur une équipe d’une quinzaine de collaborateurs pour établir des analyses techniques approfondies et indépendantes. Nous travaillons sur un sujet pendant deux semaines à six mois, ce qui nous permet d’avoir une analyse à la fois approfondie et réactive. Nous entretenons par ailleurs un contact permanent avec l’ensemble de l’écosystème nucléaire français.
À l’échelle européenne, nous sommes surtout en surproduction en France.
Les épisodes où les prix SPOT1 de l’électricité sont très faibles ou négatifs augmentent en fréquence. Sommes-nous en situation de surproduction d’électricité en Europe ?
À l’échelle européenne, nous sommes surtout en surproduction en France. Nos voisins qui importent ne sont pas forcément dans le même cas ! Nous avons exporté 89 TWh en 2024, ce qui représente un apport de 5 milliards d’euros à notre balance commerciale.
D’ailleurs, on dit surproduction par facilité de langage, mais l’offre est toujours égale à la demande dans le domaine de l’électricité. Nous ne sommes jamais en surproduction, mais en surcapacité de production, c’est-à-dire que notre capacité de production n’est pas complètement utilisée.
Les prix SPOT sont en effet faibles à certains moments, typiquement en milieu de journée, lorsque l’offre renouvelable européenne est au-dessus du besoin. Mais l’hiver, lorsque le soleil est bas et lors des anticyclones sans vent, les énergies renouvelables (ENR) ne fournissent plus assez d’électricité. Nous avons donc besoin de sources d’énergie disponibles et pilotables. En France, le parc nucléaire est d’ailleurs dimensionné pour “passer l’hiver”.
Comment expliquer que nos voisins européens prévoient soudainement de renforcer ou créer leur parc nucléaire, alors qu’aucun projet majeur n’a été lancé depuis plus de dix ans ?
Le renouveau du nucléaire s’explique par la convergence des engagements climatiques européens et la nécessité de disposer d’une production pilotable et disponible, particulièrement en hiver et la nuit.
Depuis Fukushima et le début des années 2020, le contexte a fortement évolué. La montée en puissance de la lutte contre le réchauffement climatique, renforcée par les accords de Paris, a replacé le nucléaire au cœur des débats. Cette prise de conscience constitue un atout pour une filière qui, en France, n’avait pas été historiquement développée pour des raisons climatiques mais pour réduire la dépendance au pétrole et au charbon. L’Allemagne, elle, avait fait le choix du gaz comme énergie pilotable, en particulier après Fukushima.
À partir de l’été 2021, la crise du gaz est venue modifier la donne, avant même le conflit en Ukraine. Plusieurs facteurs se sont conjugués : la reprise économique post-Covid en Chine, l’indisponibilité de gazoducs, un anticyclone persistant en Europe à l’automne 2021 suivi d’un hiver rigoureux. Ces tensions ont provoqué une forte hausse des prix du gaz.
C’est également dans la même période que RTE a sorti ses scénarios 2050 et montré que le scénario 100 % ENR n’existe pas dans un pays comme le nôtre.
À notre latitude, nous connaissons des anticyclones sans vent pouvant durer plus d’une semaine en hiver. Pour garantir un approvisionnement électrique à coût maîtrisé et assurer la sécurité hivernale, il est indispensable de disposer de moyens de production pilotables et flexibles : centrales hydrauliques, nucléaires ou à gaz. Le charbon a quant à lui été exclu pour des raisons de santé publique avant même le sujet des émissions de gaz à effet de serre.
Tous les pays mènent ces réflexions, mais les réponses varient selon les contextes nationaux. Les contraintes météorologiques et géographiques jouent un rôle déterminant : la Norvège, par exemple, bénéficie de ressources hydrauliques abondantes, alors qu’elles sont limitées ailleurs. À nos latitudes, le choix se résume donc souvent à une alternative entre gaz et nucléaire. Un nombre croissant de pays se tourne ainsi vers le nucléaire pour réduire leurs émissions.
L’objectif annoncé de triplement des capacités nucléaires en 2050 me semble trop ambitieux au regard des capacités industrielles actuelles, mais c’est bien d’avoir des cibles ambitieuses, c’est le rôle des politiques.
Vous avez parlé de “flexibilité” et de “pilotabilité”, deux notions très présentes dans l’actualité lorsque l’on parle d’électricité.
La flexibilité constitue un enjeu majeur, car les prix du MWh peuvent varier de zéro en journée à 150-200 euros la nuit, créant d’importantes tensions sur le réseau. Tous les leviers de flexibilité doivent être mobilisés : programmer les chauffe-eau en journée, inciter les consommateurs à recharger leur véhicule électrique aux heures super creuses, notamment en milieu de journée.
Le stockage représente une forme essentielle de flexibilité. Actuellement, avec le solaire, nous disposons de capacités de stockage de deux à quatre heures. Un stockage hebdomadaire par batteries favoriserait considérablement le développement du photovoltaïque, mais cette solution reste hors de portée pour des raisons techniques et économiques. Oui, on sait stocker l’électricité dans un téléphone. Oui, on sait stocker l’électricité dans une voiture. Mais pas à l’échelle des quantités monstrueuses d’électricité d’une région ou d’un pays pendant une semaine.
Si on pouvait installer de nouvelles STEP2 en France pour avoir un peu plus de stockage journalier avec l’hydroélectricité, ce serait aussi très bien.
Les questions d’électrification peuvent-elles être abordées aujourd’hui à la seule échelle nationale ?
Clairement non ! Comme je l’indiquais dans mon avis sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la France risque de créer des actifs échoués, c’est-à-dire des installations de production qui ne seront jamais rentables. Le fait que les Allemands et les Espagnols développent massivement les ENR – l’Allemagne a programmé 20 GW par an de développement de solaire – conduit à ce que la France soit inondée de solaire en journée par les lignes d’interconnexion. Une coordination européenne des politiques énergétiques est indispensable pour agir efficacement.
Une coordination européenne des politiques énergétiques est indispensable pour agir efficacement.
Quelles sont les anticipations de demande d’électricité ?
L’enjeu prioritaire est d’accroître la demande d’électricité en substituant les usages fossiles par des usages électriques, parce que c’est bon pour la planète et bon pour notre balance commerciale.
Il est important de rappeler qu’on dépense quand même 70 milliards d’euros par an en énergies fossiles ! Chaque transfert vers l’électricité représente donc un double gain environnemental et économique. Cette augmentation de la demande électrique est donc souhaitable, mais elle tarde à se concrétiser : la consommation stagne actuellement.
D’une façon générale, la demande en électricité évolue très progressivement, sauf en cas de crise, et reste assez prévisible à moyen terme : on ne va pas voir la demande augmenter d’un seul coup demain matin. Par le passé, nous avons d’ailleurs toujours surestimé la croissance de la demande. Développer la demande, comme la production, demande du temps.
Pour les particuliers, prenons l’exemple de l’automobile : le remplacement d’un véhicule représente un acte majeur et, depuis 50 ans, les ventes oscillent autour de 2 millions de véhicules par an. La substitution des véhicules thermiques par des véhicules électriques augmentera la demande d’électricité, mais la dynamique sera a priori lente.
Pour les industriels, la situation varie selon les secteurs, mais là également ce n’est pas simple. Les experts de Saint-Gobain, par exemple, soulignent que remplacer un four à gaz par un four électrique nécessite des études approfondies, soulève des défis techniques importants et représente un investissement financier considérable.
La seule lueur d’espoir d’augmentation rapide de la demande est liée aux datacenters. Leur consommation permettra peut-être de diminuer notre surcapacité. Mais il s’agit toutefois d’un nouvel usage et non d’un transfert d’usage de fossiles vers l’électricité, donc sans impact sur la décarbonation de notre énergie.
Comment pourrait-on accélérer l’électrification des usages ?
Le moyen le plus efficace est incontestablement le signal-prix. Pour l’énergie il n’y a qu’une règle : les gens veulent une énergie “pas chère”. Si on veut vraiment augmenter la demande d’électricité, il faut baisser son prix.
Il faut baisser le TURPE3 et baisser l’accise sur l’électricité par rapport au gaz, en reportant corrélativement les investissements de l’État dans des moyens de production qui ne sont pas nécessaires aujourd’hui.
Pour les industriels, c’est absolument fondamental et il faut faire très attention à leur compétitivité : si on tue notre industrie, nous n’aurons rien décarboné du tout, tout en perdant des parts de marché et des emplois. Il faut donc rester à l’écoute des industriels et travailler au moins à une échelle européenne, tout en progressant sur la taxe carbone aux frontières.
Le prix de l’électricité est également essentiel pour les particuliers. Dès qu’on est en dessous du salaire médian, l’énergie est un poste extrêmement important. Quand les prix de l’électricité augmentent, beaucoup de nos compatriotes rognent sur d’autres dépenses et se chauffent moins : ils se mettent à avoir froid, tout simplement. C’est encore plus vrai pour ceux qui habitent des maisons individuelles.
Pour accélérer l’électrification des usages, le moyen le plus efficace est incontestablement le signal-prix.
EDF prolonge et améliore le parc nucléaire existant tout en préparant six EPR2, alors que les demandes de raccordement solaire explosent et que la demande stagne. Quelles voies pour concilier ces programmes ?
Si la demande augmente, effectivement, on pourrait augmenter un peu la production du parc.
Les six EPR2 ne sont pas uniquement destinés à augmenter la production globale, mais aussi à anticiper la fermeture progressive de certains réacteurs. Reste que l’horizon de ces fermetures demeure incertain. On aimerait bien savoir exactement pour chaque réacteur à quel âge il va s’arrêter, parce que pour programmer une politique énergétique, c’est mieux si on a de la visibilité ! Tout le monde est prudent, aussi bien EDF que l’ASNR.
Concernant l’équilibre entre offre future et demande anticipée, je maintiens la position exprimée dans mon analyse de la PPE : toute surcapacité de production doit être évitée. Les investissements sous-utilisés ou les actifs échoués représentent un coût considérable. Ce surcoût pèse d’abord sur le budget de l’État, notamment à travers les mécanismes de compensation, de rachat ou de garantie. Il pèse ensuite sur le consommateur : le développement de réseaux surnuméraires se répercute directement sur les prix de l’électricité. Et in fine ces coûts élevés freinent l’électrification.
Un surdéveloppement de nos capacités de production nuit donc à l’électrification et compromet nos deux objectifs : décarboner et réduire notre facture d’énergies fossiles. C’est donc contre-productif.
Pour autant, aligner strictement l’offre sur la demande anticipée serait tout aussi risqué. Nous nous sommes toujours trompés sur les prévisions de demande (toujours trop optimiste !). L’augmentation de l’offre doit donc rester mesurée, en limitant l’écart avec la demande pour maintenir des coûts compétitifs. Il faut également garder des marges raisonnables, car il peut y avoir un hiver très rigoureux mais aussi parce qu’exporter un peu d’électricité en surplus est positif pour notre balance commerciale.
La maîtrise du nucléaire nécessite un tissu industriel performant, une recherche adaptée et un enseignement d’excellence. Quel est votre regard sur ces enjeux ?
Sur le plan industriel, l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement s’organise sous l’impulsion d’EDF, qui restructure ses relations avec ses partenaires industriels sur le modèle éprouvé de l’aéronautique. Cette action s’inscrit dans la durée. La recherche en France dans le domaine nucléaire est toujours de niveau mondial, tant chez les industriels (EDF, Orano, Framatome…) qu’au CEA qui se met de nouveau en ordre de marche sur le sujet. Le sujet des ressources humaines dans la filière est crucial, bien sûr pour les emplois d’ingénieurs, mais surtout pour les techniciens. On parle beaucoup des soudeurs, mais il y a tout un tas de métiers où il faut trouver des gens.
Je pense qu’il y a un manque de passion pour l’industrie, pour les métiers techniques. Les vocations manquent, les jeunes n’ont pas la passion pour ça. Nous devons retrouver une forme de fierté collective pour notre industrie.
Le sujet est compliqué, il y a plein de choses, des aspects culturels qui sont difficiles à traiter. Je pense qu’il n’y a pas forcément dans l’éducation nationale un goût suffisamment bien répandu pour les mathématiques, la physique, la chimie, l’informatique… La majorité des professeurs des écoles d’ailleurs sont d’ailleurs recrutés en provenance de filières littéraires ou de sciences humaines.
Le GIFEN4 a étudié tous les besoins de la filière nucléaire en détail, métier par métier. Nous devons recruter 100 000 personnes dans les dix ans qui viennent ! L’Université des Métiers du Nucléaire travaille avec les ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur pour garantir l’existence de ces formations. Elles existent et offrent de très belles perspectives de carrière ! Nous avons besoin d’une mobilisation générale pour que les jeunes soient fiers de travailler dans le nucléaire. Travailler dans cette filière, c’est contribuer à décarboner l’énergie, c’est participer à sauver la planète ! Et ce n’est quand même pas rien !
La France est le pays le plus fort au monde dans le domaine du cycle du combustible.
Le 17 mars 2025, le Conseil de politique nucléaire (CPN) a réaffirmé l’engagement français vers la fermeture du cycle du combustible. En quoi consiste concrètement cet objectif ?
La fermeture du cycle repose sur un principe simple : recycler si efficacement le combustible usagé que nous n’aurions plus besoin d’acheter d’uranium naturel à l’étranger. Les réacteurs ne consommeraient alors que l’uranium appauvri, dont nous disposons de stocks considérables – de quoi fournir de l’électricité à l’Europe pendant des siècles. Nous atteindrions ainsi l’autonomie énergétique. Ce serait un tournant historique ! Depuis la lettre de Clémenceau aux États-Unis5 en 1917, notre pays n’a jamais été souverain en énergie. Avec l’électrification des usages et la fermeture du cycle, cet objectif devient accessible. Reste que passer à l’échelle industrielle pour un parc complet de réacteurs prendra des décennies. D’où la nécessité de démarrer dès maintenant.
La relance du nucléaire engagée par Emmanuel Macron à partir de 2022 s’est traduite par de nombreuses initiatives, dont le renouveau des usines du cycle d’Orano à La Hague et MELOX6, deux actifs industriels majeurs.
La France a fait un choix singulier à l’échelle mondiale : retraiter 96 % des combustibles usés et n’enfouir que 4 % de la matière – les produits de fission et actinides mineurs – sous forme vitrifiée dans le centre de stockage CIGEO7. Cette minimisation des volumes de déchets avant leur enfouissement géologique profond favorise l’acceptabilité sociale du nucléaire. Ce choix confère également à Orano une position unique : celle d’industriel le plus compétent au monde occidental sur le recyclage des matières nucléaires. C’est un atout décisif pour la fermeture du cycle.
Les investissements dans le cycle du combustible sont importants – pensons aux futures usines MELOX2 et UP4 attendues vers 2040-2050. Mais rapportés à la production sur leur durée de vie, ils ne pèsent qu’une petite fraction dans le prix final du kilowattheure nucléaire.
Surtout, la maîtrise du cycle constitue une garantie stratégique majeure : elle protège le parc contre toute rupture d’approvisionnement en uranium naturel. Être fort sur le cycle du combustible, c’est une assurance vie ! La France est le pays le plus fort au monde dans le domaine du cycle du combustible. Il faut le rappeler parce que les Français connaissent bien EDF mais ne connaissent pas bien Orano, et c’est dommage car c’est une entreprise qui est la meilleure du monde dans son domaine.
On parle aujourd’hui beaucoup en Europe et dans le monde des projets de petits réacteurs modulaires (SMR), aux usages et technologies divers. Quelle est votre vision de ces nouveaux entrants ?
En parallèle des décisions du CPN, une des actions de la relance du nucléaire a consisté à financer des startups qui proposent des SMR (Small Modular Reactors) ou des AMR (Advanced Modular Reactors). Nous avons des ingénieurs talentueux et créatifs. On leur a dit dans un premier temps : “montrez-nous de quoi vous êtes capables, l’imagination est au pouvoir alors allez-y, faites des choses.” Résultat : France 2030 finance aujourd’hui 12 projets d’études de réacteurs innovants.
La deuxième phase, en cours, est l’analyse des dossiers par le SGPI8 : seuls 3 ou 4 projets seront retenus, avec l’objectif, je l’espère, qu’au moins l’un d’entre eux atteigne l’échelle industrielle. Cela démontre d’abord que la capacité d’innovation française reste exceptionnelle, nourrie notamment par l’héritage du CEA, historique réservoir d’idées. Les 12 réacteurs proposés sont tous différents, de la fusion au sel fondu et mobilisent au moins 10 types de combustibles distincts : MOX RNR solides, combustibles EDF ou particule TRISO9…
Second enseignement : les startups constituent un cadre particulièrement efficace pour la R&D, grâce à leur organisation dynamique et leur grande agilité. Les grands acteurs de la filière le reconnaissent d’ailleurs.
Troisième point positif : l’attractivité auprès des jeunes. Beaucoup m’ont confié vouloir travailler dans le nucléaire pour sauver la planète, mais sans intégrer un grand groupe, synonyme pour eux de lourdeur. Il faut en prendre acte.
Toutes les startups ne survivront pas – c’était anticipé dès le départ. Mais leurs équipes retrouveront rapidement des postes, que ce soit chez les grands acteurs de la filière ou dans d’autres projets innovants.
Dernier point : cette démarche a également eu un effet bénéfique dans l’opinion publique et le monde politique, en portant une image de dynamisme et de créativité pour le nucléaire.
Certaines startups ont par ailleurs proposé des projets centrés sur l’utilisation de la chaleur et non l’électricité, soit pour le chauffage urbain, soit pour la chaleur industrielle à haute température (jusqu’à 450 voire 700 degrés). C’est une piste prometteuse, car les solutions de décarbonation restent rares à ces niveaux de température. Nous suivons l’évolution de ces startups avec beaucoup d’intérêt, et je les rencontre régulièrement.
Vous semblez optimiste sur le futur de la filière alors qu’à l’export l’industrie française fait face à des adversaires tenaces : russes, chinois, coréens, américains…
Je trouve qu’on a une conjonction favorable. Pour la première fois depuis longtemps, nous disposons d’une véritable “équipe de France” du nucléaire, avec des dirigeants qui s’entendent bien. EDF, Orano, Framatome et le CEA ont envie de travailler ensemble, en équipe !
Reste que le marché français demeure un peu restreint pour l’industrie nucléaire et sa chaîne d’approvisionnement. La taille du marché domestique ne suffit pas à obtenir les effets d’échelle souhaitables. Il ne s’agit pas forcément d’exporter des centrales clés en main, mais certainement des composants – turbines Arabelle, équipements Framatome – et des prestations sur le cycle du combustible avec Orano.
La compétition internationale est rude, mais la supply chain française y participe et ne s’en tire pas si mal. Framatome par exemple est engagé totalement ou partiellement sur entre deux tiers et trois quarts des réacteurs mondiaux.
Pour conclure, quel message voudriez-vous faire passer aux lecteurs de la Revue, jeunes et moins jeunes ?
Le message global le plus important, c’est qu’il faut arrêter de rêver ! Revenir au réel, à la réalité des choses. C’est une responsabilité collective des grands donneurs d’ordre et de tous les acteurs du secteur : fournir aux politiques une vision claire de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas.
Cela renvoie à un problème de société actuel : la dévalorisation des arguments scientifiques et techniques face à ceux de la communication, du marketing ou de l’image. Un pays qui privilégie le rêve ne peut briller que dans le luxe et le tourisme, pas dans l’industrie et l’agriculture. Je le précise avec tout le respect que je porte à ces filières exigeantes où nos savoir-faire sont remarquables. Dans l’agriculture et l’industrie, impossible de rêver : la confrontation au réel est quotidienne. C’est là que se fabriquent les vraies choses, celles qui servent concrètement notre existence et assurent notre souveraineté. Il faut en permanence remettre sur la table les arguments scientifiques et techniques, parce que ce sont toujours eux qui gagnent à la fin.