Travaux :
la fierté de “faire rouler des trains”
Par Adèle Fousse (E18)
Entre innovation et tradition, les travaux ferroviaires requièrent expertise et adaptabilité. Deux ingénieurs chez Colas Rail partagent leur quotidien de conducteurs de travaux : défis techniques, contraintes de sécurité, relation avec la SNCF et solidarité des équipes de chantier. Un aperçu des particularités de ce secteur méconnu, mais essentiel pour le réseau ferroviaire.
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Desserrage manuel d’attaches à la tirefonneuse.

En France, la charge des travaux ferroviaires a longtemps incombé à la SNCF elle-même, et ce sont ses salariés, les cheminots, que l’on voyait sur les chantiers. Depuis plusieurs décennies, ces travaux font l’objet d’appels d’offres et les marchés sont attribués à des entreprises de travaux publics, qui ont l’habitude d’intégrer le domaine des travaux ferroviaires à leurs structures déjà établies pour le bâtiment, la voirie et les réseaux divers. On peut par exemple citer Colas Rail, ETF, TSO, respectivement filiales des groupes Bouygues, Vinci, et NGE. Comme nous, il est possible de se lancer dans la conduite de travaux ferroviaires dès la sortie d’une école d’ingénieur (et pas seulement l’ESTP !), mais il faut alors s’attendre à découvrir les nombreuses particularités du secteur, que cet article propose d’esquisser !

 

DÉVELOPPEMENT OU RENOUVELLEMENT ? AGENCE OU GRANDS PROJETS ?

 

La première particularité qu’un conducteur de travaux peut découvrir en arrivant dans le ferroviaire, c’est que ces travaux se trouvent être principalement ceux de renouvellement d’infrastructures déjà existantes. Ces dernières années, le gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau utilise en moyenne plus de la moitié de ses dépenses d’investissement dans le renouvellement et la modernisation, soit de l’ordre de 3 milliards d’euros. Ces opérations de renouvellement, souvent moins mises en valeur que les travaux de développement (création de lignes ou tronçons) dans les presses locales et nationales, représentent pourtant la majeure partie des travaux qu’une entreprise de travaux ferroviaires est amenée à réaliser chaque année. 

En général, on distingue dans le monde du ferroviaire deux types de fonctionnements de chantier : le mode projet et le mode agence. Dans le cas des grands travaux de développement (ligne 18 du métro, CDG Express…), on fonctionne en mode projet : les chefs de projets délèguent la partie opérationnelle à des conducteurs de travaux de toutes spécialités : caténaire, voie, signalisation, etc., et les équipes s’occupent exclusivement d’un chantier qui peut durer de six mois à plusieurs années. C’est aussi le mode de fonctionnement des travaux de suites rapides, c’est-à-dire lorsqu’on utilise un train-usine pour le renouvellement des voies ou caténaires.

À l’inverse, pour de plus petits chantiers (CA inférieur à 2 ou 3 millions d’euros), ce sont généralement des conducteurs de travaux en agence qui prennent la main. Un conducteur de travaux en agence va être son propre chef de projet, et est donc responsable de l’aspect contractuel, financier et opérationnel. Le mode agence est privilégié pour traiter des zones de chantier spécifiques : ouvrages d’arts, gares, zones peu accessibles ou denses, remplacement d’appareils de voie ou linéaires faibles. Ces chantiers peuvent durer d’un week-end à plusieurs semaines, mais restent assez coûteux, nécessitant notamment davantage de main-d’œuvre. En agence travaux, on utilise en effet encore des méthodes manuelles, la dépose et repose de la voie se font par tronçons de voie avec des pelles rail-route.

À titre de comparaison, en mode hors suite, une bonne nuit de 3 heures de renouvellement de voie et de ballast permet de couvrir entre 30 et 80 mètres, contre au moins 150 mètres ou bien plus avec des trains de suite rapide.

 

QUELQUES CONTRAINTES SPÉCIFIQUES AUX TRAVAUX FERROVIAIRES

 

Le secteur des chantiers ferroviaires se distingue notamment de celui de la route ou du bâtiment par les contraintes organisationnelles et techniques qui sont imposées par cet environnement singulier.

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Pose de panneaux de voie à la pelle rail-route.

Complexité des travaux de régénération

 

Réaliser des travaux sur des infrastructures existantes met souvent en jeu de nombreuses contraintes dont sont exempts les travaux neufs. La première de ces contraintes est bien sûr le conflit entre la réalisation des travaux et la poursuite de l’exploitation commerciale de l’infrastructure. Chaque jour, l’entreprise doit récupérer une autorisation de travail sur les infrastructures. Une fois les travaux réalisés, elle doit rendre cette autorisation afin de permettre la reprise des circulations de trains. Les plages horaires prévues aux travaux sont définies en amont par la SNCF, qui s’efforce de trouver le meilleur compromis entre travaux et exploitation. Les plages horaires réservées aux travaux peuvent donc se retrouver très limitées (quelques heures) et planifiées la nuit, ou durant les week-ends et jours fériés. Par exemple, l’agence voie Île-de-France – Normandie remplace toutes les nuits des traverses sur la ligne très empruntée du RER A (client RATP), cela sans impacter la circulation du premier et du dernier RER, ce qui laisse 3 heures de travail par nuit pour remplacer environ 40 traverses.

L’entreprise de travaux s’efforcera donc d’optimiser les plages qui lui sont accordées, et surtout de ne jamais les dépasser. Chaque restitution tardive de l’autorisation de travail (résultant par exemple d’une opération plus complexe que prévu, d’un engin bloqué sur les voies ou encore d’une dégradation inopportune de l’infrastructure, etc.) est susceptible de perturber l’exploitation du gestionnaire d’infrastructure. Le cas échéant, de lourdes pénalités peuvent être attribuées à l’entreprise (de 50 € à plus de 1000 € par minute de retard dans la restitution). Les acteurs du chantier sont ainsi tous les jours mis au défi de “rentabiliser” au maximum leurs opérations.

Risque caténaire

 

En plus de l’autorisation de travail sur les voies, un chantier peut nécessiter la mise hors tension de la caténaire (ensemble des câbles haute tension pour l’alimentation électrique des trains). C’est le cas dès qu’un agent ou un engin est susceptible d’approcher de moins de 3 mètres d’une installation sous tension. Comme pour l’obtention de l’autorisation de travail sur les voies, l’entreprise de travaux demande une attestation de mise hors tension des installations électriques avant chaque intervention à proximité de la caténaire.

Un chantier de travaux caténaires est bien sûr particulièrement concerné par la mise hors tension des installations électriques. Une entreprise dite “spécialisée caténaire” est d’ailleurs amenée à réaliser elle-même la mise hors tension autour de sa zone de travail, qui constitue la principale protection des monteurs caténaires contre le risque électrique. Cette mise hors tension est réalisée par la mise en place de connexions en cuivre qui relient les câbles conducteurs au rail, court-circuitant la caténaire : en cas de réalimentation inopinée, le courant est directement retourné par ces connexions et évite les agents pouvant travailler sur l’infrastructure.

Dans la majorité des chantiers de régénération caténaire, les installations doivent pouvoir être remises sous tension après chaque journée (ou nuit) de travail, toujours afin de pouvoir en assurer l’exploitation. À la fin de chaque session de travail, il faut s’assurer d’avoir fait retirer toutes les connexions pour éviter une disjonction à la réalimentation, ce qui peut vite entraîner des complications regrettables (dégradation de la caténaire, appel d’astreinte SNCF, restitution tardive, etc.). 

 

Travailler avec un client unique

 

En mode agence, les conducteurs de travaux ont une relation privilégiée avec le client SNCF Réseau puisqu’il intervient dans toutes les étapes du chantier : préparation, réalisation, suivi qualité, suivi sécurité, facturation et notation. Le responsable lot de travaux SNCF est, au même titre que le conducteur travaux entreprise, un acteur clé de la réussite d’un chantier. Il va s’assurer de l’obtention des voies et des consignations à l’heure et être un soutien technique. Dans le même temps, il valide avec le chef de projet SNCF les facturations mensuelles selon les linéaires réalisés durant le chantier.

C’est donc une relation assez particulière qui s’installe avec la SNCF, allant de partager le café tous les soirs avant d’aller sur le chantier, au fait de se retrouver devant le chef de projet SNCF pour des examens de dossiers réclamatoires à la suite de restitutions tardives. Il faut instaurer un climat de confiance, mais également poser des limites, surtout lorsque le chantier ne se déroule pas parfaitement. D’autant plus qu’en agence, il est possible de retravailler avec le même chef de projet SNCF ou responsable de travaux sur plusieurs chantiers : on parle beaucoup “d’image” de l’agence auprès de la SNCF. Le comportement de chaque conducteur de travaux sur ses chantiers et sa relation avec le client peut grandement influer sur l’avenir d’une agence, dont le chiffre d’affaires dépend directement du nombre d’affaires gagnées.

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Remplacement des supports caténaires par la Suite Rapide 1500V.

Quelques mots sur “l’ambiance de chantier”

 

En termes de ressources humaines, comme le métier s’industrialise, certaines compétences sont perdues dans le processus. En agence, il est parfois très compliqué de trouver des chefs de chantier ayant encore toutes les connaissances requises. Pour les conducteurs de travaux, les exigences du métier sont difficiles à concilier avec une vie de famille et cela peut parfois décourager les plus anciens qui partent avec leur expérience du terrain. On retrouve plutôt des profils ingénieurs sortis d’école, avec peu de connaissances techniques et de gestion de chantier. 

Cependant, le travail de nuit, en week-end ou en déplacement dans toute la France par tous les temps, dans des zones parfois peu accueillantes, installe une ambiance particulière : les travaux de voies et de caténaires font ressortir des valeurs de cohésion, d’entraide et de partage. De nombreux collaborateurs sont passionnés par leur métier, et l’on en voit plus d’un attendre le passage du premier train du matin avant de partir se reposer après une longue nuit de travail. Comme pour les cheminots, le métier des travaux ferroviaires représente avant tout la fierté de “faire rouler des trains”.

Adèle Fousse
Adèle Fousse (E18)
Après un an de conduite de travaux dans l’industrie navale militaire, Adèle intègre Colas Rail en 2022 via un parcours de formation en graduate program. Ce programme de 18 mois permet aux jeunes embauchés de découvrir les multiples aspects de la conduite de travaux ferroviaires, en France et à l’international. Après le tramway de Liège et la suite rapide caténaire 1500V, elle est actuellement en poste fixe au sein de l’agence travaux voie ferrée Île-de-France – Normandie depuis mai 2024.
Marius Héry
Marius Héry (N15)
Marius intègre Colas Rail en 2019 à la sortie de l’école des Mines de Nancy. Il débute avec le graduate progam qui lui permet de découvrir les métiers du ferroviaire en France ainsi qu’au Royaume-Uni, avant d’assurer la conduite de travaux sur des chantiers de remaniements caténaires pour le compte de la SNCF. Après 5 ans dans la société, il s’inscrit pour un VIE proposé par Colas Rail aux Philippines où l’entreprise a obtenu la réalisation du nouveau réseau urbain de Manille.
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