Sortie d'usine
Le parcours de validation des trains
Par Moéa Ulvé (N14)
Parmi les métiers de l’ingénierie du secteur ferroviaire, la certification et validation est souvent peu connue, bien qu’essentielle au succès de la mise en service des trains sur les sites clients. Illustration à travers le cas de la validation du matériel roulant chez Alstom, que ce soit pour le contrôle de métro, les tramways, les trains régionaux ou à grande vitesse. Un métier aux multiples facettes, garant pour le client que le train réponde aux exigences spécifiées en début de projet.

La validation du matériel roulant : objectif et principes

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© ALSTOM SA. Samuel Dhote

La validation est un métier situé à l’interface entre le projet, l’ingénierie et le client. Essentielle tout au long du cycle de vie d’un projet, elle permet de vérifier que les exigences techniques définies (elles-mêmes dérivées des spécifications établies par le client au début du projet) ont bien été respectées, et donc de confirmer que le constructeur a livré un train conforme aux attentes client. Celles-ci touchent tant au niveau de l’opérabilité (ex. : “le train doit rouler à 120 km/h”) qu’au niveau des équipements présents (ex. : “chaque voiture du train doit comporter deux portes d’entrée latérale par côté”, “le train doit comporter des toilettes accessibles pour les PMR”…). À cela s’ajoutent des exigences internes du constructeur, relatives à la conception ou à la sécurité du train (présence de systèmes d’ouverture d’urgence sur les portes, équilibrage des charges portées par les roues…). 

 

Ces spécifications sont souvent régies par des normes et standards (voire des lois) à respecter, variant parfois selon les pays. À titre d’illustration, les véhicules sont testés conformément aux normes de la Commission électrotechnique internationale (instance de l’OMC), les niveaux de bruits internes et externes sont régis par une norme ISO, tandis que la signalisation d’urgence doit se conformer aux standards de l’American Public Transportation Association dans le cas d’un projet aux USA, etc.

 

L’ensemble de ces exigences constitue la base de la stratégie de validation. Chaque requis technique doit être validé par des méthodes clairement définies par l’ingénieur système, et confirmées par l’équipe de validation. Il peut s’agir : 

  • d’analyses (calculs théoriques, simulations numériques ou par éléments finis…),
  • de démonstrations d’utilisation du système,  
  • de rapports de tests réalisés par des fournisseurs, 
  • de tests à réaliser directement sur le véhicule. 

 

Concernant les requis liés aux systèmes critiques du train en termes de sécurité, les modes de défaillance identifiés par les équipes RAMS (Reliability, Availaibility, Maintainability, Safety) via la méthode AMDEC (analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité) sont soigneusement analysés par les ingénieurs pour assurer une validation appropriée et efficace.

La phase de tests véhicule

 

C’est l’équipe de validation qui élabore les procédures de test du train à mettre en œuvre lors de la phase de test véhicule, durant laquelle le train est évalué tant sur le plan fonctionnel que sur celui de la performance. Les tests fonctionnels valident que chaque fonction du train opère comme prévu, sans nécessairement évaluer la vitesse, la réactivité ou l’efficacité du système, alors que les tests de performance évaluent l’efficacité et les capacités du train dans des conditions spécifiques par rapport à des critères précis. Citons comme exemples de tests fonctionnels la qualification du système de contrôle du train (tests des commandes et des affichages du tableau de bord), ou la qualification des systèmes d’éclairages (réaction correcte aux commandes d’éclairage en mode normal comme en mode d’urgence). Pour les tests de performance, on peut penser à la qualification du système de propulsion et de freinage (comme les distances de freinage pour les différentes charges du train : vide, chargé avec des passagers, chargé au maximum), ou la qualification de qualité/confort de roulement (le taux d’exposition aux vibrations et le taux d’accélération maximale sont soumis à des maximums à ne pas dépasser).

Ces tests in situ peuvent se dérouler à différents endroits. Dans un premier temps, le choix d’opérer sur des voies de test internes à Alstom est souvent préféré, car elles sont accessibles avec moins de contraintes, et permettent de “dérisquer” le fonctionnement du train avant d’arriver chez le client. Lorsque certains tests nécessitent des conditions spécifiques, il est possible de se tourner vers des installations dédiées externes à Alstom. Par exemple, le site de Velim (République tchèque) ou le site de Pueblo (Colorado, USA) comportent des voies d’essai spécifiques (sous forme d’anneau) pour vérifier les performances de trains à très grande vitesse. Dans le cas d’opération du train dans des conditions climatiques particulières, des tests en chambre climatique ont lieu sur les sites Alstom de Vienne (Autriche) ou de Valenciennes (France) : le véhicule est installé dans cette “boîte” où différentes conditions de température sont reproduites.

Les tests sur le site du client sont cependant nécessaires puisque certains éléments ne peuvent pas se reproduire complètement en dehors. Par exemple, la qualité et le confort du roulement ne seront testés que sur les voies du site du client puisque leur géométrie impactera les mesures. De même, la qualification du bruit interne et externe est sujette à l’environnement extérieur, comme l’aménagement des arrêts ou des immeubles présents le long de la voie.

Il est également important de mentionner que certains tests fonctionnels peuvent être réalisés au préalable dans des laboratoires internes à Alstom. Dans ces environnements, les éléments du train sont intégrés soit physiquement (ex. : les systèmes de communication, affichages à bord, enceintes), soit numériquement (ex. : le système de contrôle du train, le système de propulsion et freinage, les portes) dans une cabine de simulation représentative du train complet, permettant de détecter rapidement des problèmes et de les résoudre avant les tests in situ. On peut ainsi souvent identifier des problèmes logiciels, comme la non-apparition d’alarmes ou des séquences de tests non conformes à la logique, ou encore des problèmes liés aux composants fournisseurs (type affichages à bord) directement intégrés dans le laboratoire.

Tout comme la définition des lieux de tests, la préparation des kits d’instrumentation nécessaires à leur réalisation fait l’objet d’une grande attention. Ces instruments sont variés et exigent souvent une calibration : thermomètres, multimètres, thermocouples, accéléromètres, GPS, sondes de courant, sondes de tension, ordinateurs et câbles… rien ne doit manquer pour la phase de test.

S’ensuit l’exécution des essais où les ingénieurs de test sont en première ligne pour suivre les procédures, signaler les problèmes éventuels et les examiner avec les ingénieurs des systèmes. Tous les incidents détectés (par exemple, une alarme non déclenchée, ou bien une procédure de test ne pouvant être suivie telle que décrite) sont documentés jusqu’à leur résolution, garantissant ainsi la traçabilité et permettant un retour d’expérience. Bien que l’exécution des tests véhicule varie selon les projets et leur complexité, elle dure généralement entre 1 et 2 ans.

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© ALSTOM SA. Karl Schoemaker

Validation et apprentissage

 

Chaque projet offre de précieux enseignements à l’équipe de validation, sur l’exécution et le séquencement des tests : par exemple, grouper des tests se réalisant avec des poids similaires permet d’obtenir une séquence plus sécuritaire pour le personnel en charge d’ajouter les sacs de sable (simulant le poids) dans les véhicules. Les retours d’expériences concernent aussi les relations avec le client, ou encore les modes de collaboration entre équipes (par exemple, un défi lorsque le site d’ingénierie se trouve en Inde alors que le site du client est en Amérique !).

Cette logique d’amélioration continue est centrale chez Alstom, et chacun a la possibilité de faire remonter des éléments positifs ou négatifs. Ces retours sont partagés et documentés pour en tirer des corrections, ou des pratiques à reproduire (par exemple, réaliser des tests préliminaires ou dry runs avant de commencer le test officiel permet d’éviter de mauvaises surprises lors de l’exécution, comme un problème avec l’acquisition de données ou une séquence d’exécution qui pourrait être plus optimale). Si certains des éléments peuvent bénéficier à d’autres équipes, ils peuvent alors être intégrés dans une base de données centrale partagée à travers tous les sites de l’entreprise.

L’ensemble des apprentissages devient tout autant important que les preuves de validation elles-mêmes. Mentionnons qu’avec l’expérience constructeur, parmi l’ensemble des tests véhicule à réaliser avant sa livraison, certains restent importants après la mise en service. C’est typiquement le cas des tests liés au mouvement du train (qualification de la propulsion, du système de freinage, du système de contrôle du train) ou des tests liés à l’utilisation répétée du système. On pensera ici notamment aux portes, dont l’ouverture et la fermeture sont très fréquentes, ce qui explique pourquoi ces organes font l’objet d’une attention toute particulière en phase de test, avec notamment des tests d’endurance et de cyclage réalisés en collaboration avec les fournisseurs.

Même après la livraison du matériel, les preuves de validation demeurent des éléments clés, puisqu’elles peuvent être utilisées en cas d’incident en exploitation (par exemple, un bris d’un connecteur dans le système des portes provoque le démarrage du train avec une porte ouverte). La documentation rigoureuse et la traçabilité des tests, sous la responsabilité de l’équipe de validation, sont donc aussi primordiales, des insuffisances pouvant nuire à la réputation du constructeur ou mettre en jeu sa responsabilité. 

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Test en chambre climatique. © ALSTOM SA./Planimonteur - L.Trottier
Moéa Ulvé
Moéa Ulvé (N14)
Moéa Ulvé réside au Québec depuis 2018 après avoir complété son parcours d’études à Montréal avec un double diplôme en ingénierie aérospatiale. Elle effectue sa première expérience en systèmes qualité dans l’industrie aéronautique, puis rejoint en 2019 le secteur ferroviaire. Elle y évolue au fil des années à travers différents rôles aux côtés des équipes d’ingénierie : coordination des tests fournisseurs, support à la gestion de projets, et actuellement, coordination de la validation des trains.
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