Interview de LOLA PELADAN (P17) et CLAIRE CORRAL-COLLIERE (P14), dirigeantes d’unités opérationnelles (DUO) au technicentre Est Européen de la SNCF
Quel est votre parcours ?
Claire – Après les Mines, j’ai continué avec une année d’études au Collège des Ingénieurs, au cours de laquelle j’ai accompli une mission au sein de la direction de l’Innovation du groupe SNCF, sur le programme du train autonome. Ça m’a donné envie d’y rester pour mon premier poste, puis d’aller découvrir le cœur de métier en opérationnel : je suis devenue dirigeante d’unité opérationnelle (DUO) mécanique et confort au technicentre Est Européen (TEE) en 2022.
Lola – J’ai fait mon stage de fin d’études à la SNCF, sur des outils digitaux dans la gestion opérationnelle des circulations. J’ai aussi voulu rester, mais sur des sujets plus industriels liés à mon option “Systèmes de production et logistique” : j’ai rejoint le TEE en 2021 pour être DUO électrique.
Quel est le rôle des DUO dans les sites de maintenance SNCF ?
Claire – Au TEE, nous nous occupons de la maintenance des rames TGV qui circulent sur l’axe Est. En tant que DUOs, nous dirigeons des unités d’environ 150 agents, essentiellement des opérateurs et techniciens. Nous sommes donc responsables des performances de la production (qualité, coûts, délais) et de l’amélioration des process, mais aussi (et surtout !) de la sécurité des salariés ainsi que du climat social.
Lola – Concrètement, cela veut dire s’assurer au quotidien que nos agents ont tous les moyens nécessaires pour travailler dans de bonnes conditions et que la production atteigne l’objectif. La maintenance ferroviaire présente une répétabilité moins forte qu’une chaîne de production classique, le métier de nos agents ressemble en fait plutôt à de l’artisanat avec des moyens industriels !
Concrètement quelles opérations de maintenance devez-vous superviser ?
Claire – Avec mes équipes Mécanique, nous nous occupons de l’inspection et de l’entretien de toute la chaîne cinématique du train (moteur, réducteur, bogies, essieux), des amortisseurs, des dispositifs d’attelage, ainsi que de l’alimentation électrique via le pantographe. Pour cela les équipes travaillent à la fois en toiture et sous la rame, dans les voies de fosse. Les équipes Confort travaillent quant à elles sur la maintenance des portes de TGV, sur le carénage des motrices, ainsi que sur tous les éléments visibles par les clients (sièges, moquettes, éclairage, fenêtres, sanitaires…). Enfin, nous pilotons un prestataire qui s’occupe du nettoyage intérieur et extérieur de tous nos TGV, que ce soit en technicentre, en gare ou à bord des trains.
Lola – Côté électrique, nous sommes en charge entre autres de la conversion de puissance de la caténaire pour alimenter l’ensemble de la rame, des climatisations du train, des équipements de sécurité embarqués, du chauffage, des systèmes pneumatiques assurant le freinage, mais aussi des relevés des ordinateurs de bord.
Quels sont les défis auxquels vous devez répondre ?
Claire – Nous devons fournir à l’exploitant des rames en sécurité, fiables, confortables, et qui roulent en temps et en heure pour nos voyageurs. Dans un contexte où l’on manque de rames (la demande est forte et les nouveaux TGV n’ont pas encore été livrés), notre enjeu est double : prolonger la durée de vie du parc actuel, et optimiser le temps d’immobilisation des rames pour la maintenance. Pour cela, nous travaillons avec l’ingénierie à détendre le pas de certaines opérations et les rendre plus modulaires, pour les effectuer au maximum sur les “temps morts” des rames, et sur leurs lieux de garage naturels au-delà du TEE (ex. Strasbourg, Luxembourg…). Enfin, la maintenance se digitalise pour gagner en efficacité et mieux cibler les opérations à effectuer (maintenance prédictive).
Lola – Nous avons aussi un gros enjeu humain, pour attirer, recruter et faire monter en compétences de nouveaux agents (électriciens, mécaniciens, magasiniers…), alors même que ces personnes sont très demandées sur le marché du travail. Au TEE, les besoins ne cessent d’augmenter, avec actuellement près de 800 personnes, et environ 100 recrutements par an.
Comment les tâches de maintenance des trains sont-elles impactées par le réchauffement climatique et les tensions sur les ressources ?
Lola – Il y a de nombreux impacts et cela mériterait un article entier ! Mon rôle de DUO électrique me fait par exemple me pencher sur les blocs de climatisation des trains, qui sont des systèmes thermodynamiques dimensionnés il y a plusieurs décennies. Ils ne sont donc plus bien adaptés aux fortes chaleurs que nous connaissons maintenant chaque été : ils font l’objet d’une préparation au printemps et d’une vigilance accrue pendant la période estivale. Par ailleurs, et comme tous les industriels, nous entreprenons des travaux d’économies énergétiques sur les sites de maintenance. On peut aussi mentionner toutes les actions de valorisation de nos déchets industriels, dans une logique d’économie circulaire. Ce sujet est d’ailleurs au cœur de la maintenance du matériel SNCF depuis longtemps puisqu’il existe tout un système de remise en état des pièces détachées en interne.
Claire – À titre d’exemple dans cette logique d’économie circulaire, mes équipes Confort ont mis en place un recyclage systématique des moquettes usagées par un industriel producteur de chaleur. En un an, ce sont près de 10 tonnes qui ont pu être recyclées pour générer une énergie de plusieurs dizaines de MWh. Depuis peu, nous avons aussi ajouté les mousses de sièges, les tissus et les accoudoirs dans ce processus de valorisation, et l’objectif est de pousser la logique toujours plus loin. on peut aussi mentionner la gestion de l’eau : les TGV sont nettoyés sommairement par une “machine à laver” toutes les semaines (eau 80% recyclée), puis nettoyés “à la main” chaque mois de manière approfondie, ce qui consomme plus de 2000 litres par rame et constitue une opération difficile pour les équipes ! Dernièrement, pour améliorer l’ergonomie et économiser l’eau, nous avons testé un robot lavant qui n’en consomme quasiment plus et utilise un produit biodégradable.
En tant que jeunes femmes ingénieures, comment s’est passée votre intégration dans le technicentre ?
Claire – J’ai ressenti quelques fois qu’on attendait de moi que je fasse mes preuves, peut-être davantage qu’un homme. Avec une équipe intégralement masculine, certains agents peuvent se demander ce que vous venez faire ici ! Il faut se laisser le temps, être bien à l’écoute et croire en sa légitimité : au fur et à mesure que l’on apprend à connaître son environnement et ses collègues, on tisse des liens et on réussit à faire sa place. J’ai aussi eu la chance d’arriver dans un collectif de dirigeants dans lequel il y avait d’autres jeunes et d’autres femmes.
Lola – Ce n’était pas le cas pour moi au début, et être rejointe par Claire a été une respiration. À mon arrivée, les réactions étaient assez hétérogènes, mais quelques agents semblaient effectivement peu à l’aise (consciemment ou non !) avec le fait d’être dirigés par une femme, jeune par-dessus le marché. Tout cela s’améliore par la suite, et nous avons chacune senti des personnes d’abord défiantes nous accorder par la suite leur confiance.
Comment voyez-vous la suite de votre parcours ?
Lola – Ma mission au TEE s’achève bientôt, et je vais continuer à faire du management opérationnel, mais cette fois-ci dans l’exploitation ferroviaire, pour la ligne du RER C.
Claire – Je commence en parallèle de mon poste actuel un cycle de formations sur l’ensemble du système ferroviaire. J’aimerais ensuite découvrir un nouveau métier, soit dans l’exploitation, soit sur un projet au long cours appliqué à l’opérationnel. Pouvoir découvrir plein de métiers différents est un gros atout de la SNCF !
Au regard de vos expériences, avez-vous vous un dernier conseil ?
Lola – Deux conseils : primo, occupez-vous des gens, car on ne s’en occupe jamais trop ! Et secundo, ne faire du management que si vous en avez vraiment envie !
Claire – Quel que soit le poste que vous choisissez, allez voir le terrain et rencontrez les personnes, prenez le temps d’échanger avec elles. Cela vous aidera à vous mettre à leur place, et cela ne pourra qu’élargir votre vision sur les sujets.