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Édito
L’insoutenable légèreté de l’air
J’ai hésité – pas longtemps – à orthographier le mot final du titre de cet éditorial “ère”, mais compte tenu du contexte géopolitique et de la crise climatique annoncée (si ce n’est constatée), l’ensemble concourant à créer une ambiance quelque peu pesante, cette option aurait vraiment demandé une bonne dose de second degré à notre preux lecteur ou bien alors de longues digressions à contre-courant à votre serviteur afin qu’il revînt à des considérations plus réalistes. A priori, qu’est-il de plus léger que l’air ? (L’hydrogène et l’hélium, je sais.) Eh bien, même de cette intuition fondamentale, il faut apprendre à se défier, car cela dépend du contexte, ou plutôt du volume. Donc de la pression et de la température (cf. la loi des gaz parfaits…). Quand on gonfle une baudruche, on ne s’en rend pas forcément compte, mais quand on considère les émanations industrielles, on se retrouve vite à parler “MtCO2e” : la tonne métrique d’équivalent dioxyde de carbone. Et mine de rien, de Paris, de Nancy ou de Saint-Étienne, on se rend alors compte que, de par la production de quelques dizaines de milliards par an de l’unité susmentionnée, l’air peut peser des tonnes. Voilà pour ce qui est de sa prétendue légèreté.
L’autre qualificatif dont il est question est en revanche d’un abord direct, même si l’on conviendra que la trajectoire carbonée est rarement dite “insoutenable” (“Couvrez ce sein que je ne saurais voir…”), mais utilise plutôt la syntaxe anglo-saxonne de “non soutenable”. Soutenable, on l’est ou on ne l’est pas, en quelque sorte. Quant à la célèbre légèreté ontologique à laquelle le titre emprunte, avec les quelque 1 000 hectopascals que nous avons (entre autres) sur les épaules, vigoureusement augmentés par les vapeurs de CO2 relarguées des temps anciens (qui croyaient pourtant avoir bien caché leur carbone), gageons qu’elle se leste, année après année, des records de température battus ici ou là. Même en hiver, pour les pays qui bénéficient encore de cette saison, le débat peut vite s’échauffer.
Le dossier thématique de ce numéro n’a pas pour but d’alourdir inutilement un bilan contrasté… L’écologie, souvent considérée comme punitive, avec son cortège de taxes-prétextes, emprunte son bandeau à la justice : tout le monde lui serait redevable. Chaque geste du quotidien : coupable ! Mais s’il est une victime expiatoire privilégiée – l’âne de la fable, si l’on veut –, c’est bien l’industrie, sommée de se décarboner quoiqu’il en coûte ! Vraiment ?
“Il n’est rien de plus lourd que la compassion”, dit le poète, et Kundera d’asséner : “La pesanteur, la nécessité et la valeur sont trois notions intrinsèquement liées : n’est grave que ce qui est nécessaire, n’a de valeur que ce qui pèse.” Le CO2 aurait-il, après tout, de la valeur ?

Articles du numéro

Sylvain Waserman
Entre urgence climatique et réalités économiques
