« Le revers et l’avers »

Facilité d’un concept binaire ou véritable loi de la physique, les choses s’ordonnent souvent en pôles antithétiques, toujours par deux, l’un positif, l’autre négatif, parfois dans des proportions qui ne sont pas identiques, comme pour rappeler la brisure de symétrie originelle. Le différentiel est-il alors lui-même positif ou négatif ? Quel pôle l’emporte sur son antagoniste ?

Question qui n’est pas que philosophique, car tout ce que nous faisons semble marqué de ce double sceau. Il n’est pas de technologie qui ne porte en son sein un usage délétère. La numérisation du monde s’accompagne autant de facilités extraordinaires dans la communication et l’accès aux connaissances que de contreparties nihilistes. A ce titre, il suffit d’évoquer les usages absurdes des réseaux sociaux, les impacts sur la psyché des personnes qui y sont trop exposées, les actes de manipulation qui ne se cachent même plus, ou encore les implications de l’intelligence artificielle qui, en tentant d’assumer la partie de peu d’intérêt des tâches informatiques, permettra dans le même temps une surveillance continue et un pistage de nos moindres faits et gestes. Beaucoup de positif et un peu de négatif. À moins que ce ne soit le contraire… Les proportions tendraient-elles ici à s’inverser ?

Et non seulement chaque chose semble porter en elle son négatif – presque au sens photographique –, mais même lorsqu’il se dissimule, se trouvera toujours une volonté pour le faire apparaître au grand jour, car, à l’instar des transferts physico-chimiques, la perte infligée à l’un se traduit par un gain pour l’autre. Ainsi, tout comme avant eux l’approvisionnement en denrées ou en énergie, le matériel et le logiciel investissent le champ des actifs à protéger et la menace cyber, revers de la médaille informatique, trouve son pendant, ou plutôt son avers, dans la cybersécurité, qui lui fait donc « face ». 

Le dossier de ce numéro, dans lequel j’ai eu le plaisir de m’impliquer aux côtés d’un de nos camarades expert de ces questions, illustre le versant négatif de l’informatique – c’est-à-dire tous ceux qui, par leurs pratiques, tentent de voler des données, souvent pour extorquer des fonds, procéder au chantage et à l’intimidation –, à moins qu’il ne présente les efforts positifs pour lutter contre celui-ci ! D’ailleurs, usant des mêmes techniques, les acteurs de la cyber rejouent une partie d’échecs bipolaire aussi vieille que l’humanité : on est toujours la pièce noire du camp blanc ou la pièce blanche du camp noir. Exfiltrer des informations importantes hors d’une organisation criminelle ou d’un régime totalitaire, et de cygne noir vous voici passé chevalier blanc ! (Couleur définie selon votre camp.)

Cette alternance de positif et de négatif se répondant sans cesse dans toutes nos activités, n’est-ce pas le propre de toute vie humaine, ou plutôt le revers et l’avers d’une même condition d’existence ? Est-ce une raison pour ne rien faire ? Non pas ! Pendant que les hackers blancs s’occupent de défendre les entreprises et les nations, d’autres ont décidé de ne pas broyer du noir devant le constat effrayant qu’il faut défendre les sciences, ou du moins mieux les représenter dans le débat public, et mobilisent leurs énergies pour consolider la position démocratique, qui en a bien besoin. Le Grand entretien de ce numéro donne à lire les propos sans filtre d’une ancienne ministre à ce sujet, et parfois à celui de quelques autres… Bonne lecture !