Lutter contre les déserts médicaux
grâce à l’ingénierie des territoires de santé
Par Vincent Augusto (DOCT. E08),
Directeur du Centre Ingénierie et Santé de Mines Saint-Étienne
Face à la problématique des déserts médicaux, l’Institut Mines-Télécom propose une approche de recherche novatrice alliant prévention, organisation en réseau et santé numérique. En repensant l’ingénierie des territoires de santé, ce projet ambitieux vise à garantir un accès équitable aux soins pour tous à un horizon de dix ans.

Les déserts médicaux représentent un défi majeur pour les systèmes de santé, particulièrement en France où l’équité dans l’accès aux soins est une priorité. Dans le cadre de sa stratégie, l’Institut Mines-Télécom (IMT, premier groupe public de Grandes Écoles d’ingénieurs et de management de France) propose un grand projet intitulé “Ingénierie des Territoires de Santé”, une initiative qui vise à relever ce défi grâce à une approche structurée en trois axes : la prévention, l’organisation territoriale en réseau et le développement de la santé numérique.

La problématique concerne la désertification médicale exacerbée par des contraintes démographiques, économiques et sociales. Dans un contexte où le vieillissement de la population augmente les besoins en soins, le modèle traditionnel d’organisation des soins montre ses limites. Ainsi, l’objectif est de redéfinir l’organisation des soins à travers une approche territoriale en intégrant innovation numérique, nouveaux métiers en santé et modèles organisationnels adaptés.

Dans un contexte où le vieillissement de la population augmente les besoins en soins, le modèle traditionnel d’organisation des soins montre ses limites.

La prévention est une pierre angulaire pour limiter l’aggravation des pathologies et optimiser les parcours de soins. L’IMT mise sur une nouvelle approche intitulée “Responsabilité Populationnelle”, qui consiste à organiser et coordonner les soins de santé pour une population définie afin d’améliorer son état de santé global tout en optimisant les ressources disponibles. Mettant l’accent sur la collaboration interdisciplinaire et interinstitutionnelle, elle repose sur une analyse fine des besoins spécifiques d’une population au niveau local afin de proposer des solutions adaptées en termes de prévention, de soins et d’accompagnement. Les principaux enjeux de ce volet sont l’intégration de la prévention dans les parcours de soins (comment inciter la population, quels modèles de prise en charge), le développement de plans de continuité d’activité sans recours à l’informatique pour répondre aux interruptions des outils numériques (pannes ou cyberattaques), la collaboration internationale pour identifier des bonnes pratiques et les adapter aux contextes locaux (par exemple avec le Japon pour collaborer sur l’usage de nouvelles technologies d’assistance aux patients et aux personnes âgées).

Mines Saint-Étienne développe dans ce contexte une approche automatisée de responsabilité populationnelle appliquée à la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive) : à partir des données du Health Data Hub – un groupement d’intérêt public (GIP) qui regroupe l’ensemble des données de santé médico-administratives en France (lire article page 18) –, les modèles de parcours sont automatiquement générés et les meilleures actions de préventions sont identifiées.

 

Face à la pénurie de médecins généralistes et spécialistes, le projet se concentre sur la création de réseaux territoriaux de soins, tenant compte de nouveaux métiers en santé et des nouvelles technologies numériques. Dans ce contexte, il convient de répondre aux verrous suivants : comment redéfinir le rôle du médecin généraliste dans un système en réseau ? Quelles formations pour les nouveaux acteurs, tels que les assistants médicaux ? Quels modèles organisationnels pour intégrer la santé numérique ? Les écoles de l’IMT proposent plusieurs solutions pour répondre à ces enjeux et réduire le développement des déserts médicaux sur le territoire.

IMT Mines Albi développe dans ce cadre le projet BL-Sim : à la suite d’une hausse de la demande dans les centres de soins à domicile due à une population de plus en plus vieillissante et une volonté de désengorger les structures de soins, la planification des tournées des professionnels de santé à domicile est de plus en plus complexe. Afin de faire face à des perturbations importantes qui compromettent l’exécution des tournées initialement prévues, BL-Sim propose plusieurs approches de replanification réactive, dont des approches collaboratives basées sur des règles de comportement avec centralisation ou non de l’information, ainsi que des approches basées sur la ré-optimisation des tournées en temps réel. Chacune de ces stratégies de replanification a été modélisée et évaluée via des outils de simulation à événements discrets (utilisés principalement dans un contexte industriel) sur un cas d’étude réaliste, créé à partir d’interviews menées auprès de centres de soins à domicile du Tarn.

 

Enfin, la santé numérique et les outils associés sont un levier essentiel pour améliorer l’efficience et l’accessibilité des soins. Le projet vise également à concevoir, expérimenter et déployer des dispositifs médicaux numériques adaptés aux besoins des territoires. L’objectif est triple : développer des méthodologies pour la conception et l’évaluation des dispositifs médicaux numériques, promouvoir la télémédecine, la téléréhabilitation et la télésurveillance, avec des “business models” pérennes, renforcer la sécurité des données et l’accès aux plateformes de santé numérique, comme le Health Data Hub déjà mentionné.

IMT Mines Alès développe m-Rehab, un programme de téléréhabilitation pour les malades chroniques intégrant activité physique, nutrition et télésurveillance. La réhabilitation, c’est prendre soin des personnes atteintes d’une maladie chronique en proposant des approches complémentaires : pratique d’une activité physique régulière, accompagnement nutritionnel, meilleure connaissance de sa maladie, développer, retrouver le plaisir de s’occuper de soi au quotidien. En adoptant à long terme des comportements favorables à la santé, on améliore la qualité de vie. m-Rehab s’adresse à des patients porteurs de maladies respiratoires chroniques, de troubles respiratoires du sommeil ou de maladies métaboliques et propose plusieurs parcours ainsi qu’une bibliothèque de contenus éducatifs.

 

Chaque école de l’IMT porte un ou plusieurs projets en lien avec les axes définis. Ces initiatives bénéficient de financements publics et privés, ainsi que du soutien de partenaires locaux et industriels. L’objectif est de pérenniser ces actions et de les étendre à d’autres territoires grâce à des modèles économiques robustes.

Pour conclure, ce projet instrumente une vision systémique de la santé, combinant technologie, organisation et prévention pour répondre à la désertification médicale. Par son approche multidimensionnelle, ce projet peut transformer l’ingénierie des territoires de santé et offrir des solutions durables aux défis actuels. En articulant prévention, santé numérique et organisation territoriale, il marque une étape cruciale dans l’adaptation des systèmes de soins aux besoins du XXIe siècle.

Vincent Augusto
Vincent Augusto (DOCT. E08)
Vincent Augusto possède un doctorat et une habilitation à diriger des recherches en ingénierie et santé. Il est un membre permanent du corps professoral de Mines Saint-Étienne. Ses domaines de recherche sont l’évaluation de performance et l’ingénierie des systèmes de soins (génie industriel, simulation), l’optimisation et le pilotage des systèmes de soins (recherche opérationnelle), les données de santé et l’aide à la décision médicale (fouille de processus, apprentissage automatique). Il est co-responsable du living lab MedTechLab et directeur du Centre Ingénierie et Santé de Mines Saint-Étienne depuis janvier 2020.
16 vues
0 commentaires