Peut-on éviter une opération lourde pour poser un stent aortique ?
La collaboration et le projet que nous présenterons dans cet article, débutaient au tournant des années 2000, lorsque a émergé un grand intérêt pour la mécanique du vivant. Le plus grand éditeur de logiciel mondial du domaine de la mécanique numérique nous a alors mis en contact avec des chirurgiens vasculaires de Rennes qui développaient avec rigueur des alternatives aux interventions lourdes généralement pratiquées pour soigner des anévrismes aortiques. Ces anévrismes se soignent par pose d’un stent1 pour soulager la paroi anévrismale de la pression sanguine et éviter sa dilatation, voire sa rupture. Cela se traitait traditionnellement par une ouverture du thorax ou de l’abdomen puis incision de l’aorte pour y insérer le stent. C’est une opération lourde.
Une technique alternative non invasive s’est alors développée : le stent est déployé à partir d’un outil « souple », le porte-stent, qui est inséré dans l’artère fémorale au niveau de l’aine puis « monté » jusqu’à l’endroit de l’anévrisme. La position de l’outil est contrôlée en direct pendant l’opération par radiographie. Le stent est alors déployé et posé. Cette opération dite endovasculaire se réalisait en deux temps.
On fait un scanner préopératoire du patient pour connaitre la forme de l’aorte et celle de l’anévrisme ainsi que sa position. A partir de là le médecin décide, au vu de son expérience, si la technique de pose par endo prothèse est possible ainsi que la taille du stent à poser.
Dans le cas positif, le stent était posé par cette technique. Cette opération était beaucoup moins « lourde » pour le patient.
Limites de la méthode de pose de stent avant notre recherche
Les médecins ont été confrontés à un certain nombre d’échecs montrant que leur expérience ne suffisait pas toujours pour savoir avec une bonne précision si cette technique était applicable à tel ou tel patient et pour déterminer avec suffisamment de fiabilité la taille des stents. Ils ne comprenaient pas bien pourquoi. Cela avait pour conséquence que, dans quelques cas, il fallait recommencer l’opération en ouvrant le patient : tout le bénéfice de l’opération était perdu. Il était également difficile pour de jeunes chirurgiens, peu expérimentés, de prendre la bonne décision.
Les médecins se sont rendus compte grâce aux visualisations par rayons X réalisées pendant l’opération d’insertion pour savoir où était la tête de l’outil, que les aortes se déforment énormément (Figure 2) lors de l’insertion de l’outil, ce qui fausse complètement le choix de la taille du stent (ce choix était fait à partir de la forme de l’aorte du patient avant l’opération).
Notre approche ; la simulation numérique aide à progresser dans la technique opératoire
Les médecins se sont alors posé les questions suivantes : la simulation numérique de l’insertion de l’outil porte-stent dans l’aorte peut-elle aider à :
- décider si l’insertion est possible dans les cas où l’aorte est très tortueuse ;
- déterminer avec une meilleure fiabilité la taille du stent à poser.
Nous avons alors proposé une stratégie de simulation basée sur 3 ingrédients :
- la connaissance précise de la géométrie de l’aorte et du porte-stent ;
- la détermination des rigidités de l’outil porte-stent par des essais mécaniques, de la paroi aortique et des attaches de l’aorte (supposant qu’elles dépendaient beaucoup du patient…) ;
- la simulation numérique de l’insertion de l’outil. L’idée était de calibrer les diverses rigidités en comparant simulation numérique et observation sur des opérations de pose réelles.
Cette recherche a été développée dans 3 actions consécutives dont la dernière a été une thèse CIFRE (J Gindre E2010, financée à 50% par l’état et à 50% par l’industriel ANSYS France).
Pour cette recherche on avait besoin d’une collaboration étroite entre les mécaniciens experts de la simulation numérique, les médecins qui ont l’expérience pratique des opérations et qui connaissent bien les simplifications qui peuvent être faites pour des simulations réalistes et assez simple, et les experts du logiciel. Un accord de collaboration a été signé entre le laboratoire de recherche INSA, les équipes de l’industriel, et les équipes médicales qui hébergent en leur sein des chercheurs INSERM.
Modélisation et résultats du « calage » du modèle
La collaboration s’est déroulée dans une ambiance d’écoute et de respect entre les acteurs, ce qui a permis de véritables avancées. La forme de la paroi de l’aorte a été représentée par un maillage élément fini 3D déformable (il comporte plusieurs centaines de milliers de facettes triangulaires appelés éléments de « coque » : leur épaisseur est déterminée à partir des images du scanner). L’outil porte-stent a été modélisé par une poutre déformable de section circulaire de quelques mm de diamètre dont les propriétés mécaniques ont été déterminées par essai. Les médecins ont expliqué que l’on pouvait supposer que l’aorte était attachée à la colonne vertébrale (qui sera supposée rigide) par des sortes d’élastiques. Il nous restait à caler la raideur de la paroi de l’aorte, et celles des élastiques appelées k1,2,3…. (Figure 1)
Cette simulation fera apparaître un très grand nombre d’impacts de l’outil sur la paroi interne de l’aorte. En conséquence, nous avons fait le choix de simuler la montée du stent en dynamique explicite (qui traite facilement les chocs) et en augmentant artificiellement la masse volumique des matériaux pour que le calcul ne soit pas trop long. Après 6 mois de réglages le calcul était fiable et durait environ 2H (pour simuler la montée réelle qui dure au plus dix minutes). La figure 2 ci-dessous montre 4 instants de la simulation sur un cas.
On peut observer les énormes déformations de l’aorte pendant l’introduction de l’outil. La simulation donne également les efforts nécessaires pour introduire l’outil ainsi que les déformations des parois. On peut ainsi évaluer le risque de perforation de la paroi de l’aorte par l’outil et donc la faisabilité de l’opération.
On a ensuite optimisé les valeurs des paramètres inconnus des élastiques en faisant un très grand nombre de simulations. Cette optimisation s’est faite en comparant la forme finale de l’outil mesuré pendant l’opération sur 2 patients à celle prévue par le calcul. On a cherché par un algorithme d’optimisation à minimer la différence (moyenne et maximale) entre la simulation et la mesure.
Le résultat a été surprenant : d’une part, on a observé que le résultat de la simulation était très peu sensible à la rigidité de la paroi artérielle, ce qui permet de supposer qu’elle varie très peu d’un patient à l’autre. D’autre part on a pu trouver un seul ensemble de paramètres qui permettait d’observer un écart maximum inférieur à 4mm pour 4 des 6 autres patients dont on avait les données (et de 6 et 9 mm pour les deux autres) entre les positions de l’outil mesurées par rayons X et celles prédites par la simulation (Figure 3). Les équipes de médecins étaient très satisfaites de la qualité de la prédiction. La méthode a été publiée dans un grand journal scientifique du domaine2.
Validation à l’aveugle du modèle calé dans la première étape : un succès.
On a alors appliqué la méthode pour simuler à l’aveugle (c’est-à-dire sans connaître les résultats) les opérations de 28 autres patients (femmes et hommes) de tous âges et de toutes anatomies. Les prévisions ont été probantes (erreur inférieure à 5mm sur 80% des cas)…Cela a donné lieu à une deuxième publication qui est très souvent citée3.
La méthode est maintenant disponible dans une version spécifique du logiciel ANSYS et est utilisée par l’équipe de médecins pour préparer ses opérations.
N’oublions pas les valeurs humaines qui ont été au cœur de la réussite du projet
Cette belle expérience a aussi été le fruit des qualités humaines des personnes impliquées : passion pour le métier, humilité dans la reconnaissance des limites de leur expertise, goût du partage désintéressé des idées, écoute attentive, patience devant la lenteur de la progression de la connaissance, humilité devant les échecs.
Et après ?
Une fois la position du stent déterminée, on peut se poser les questions suivantes : Comment le stent va-t-il se déployer ? Va-t-il bien adhérer à la paroi ? Comment les écoulements de sang vont-ils être modifiés par ce sent ? Sera-t-il bien étanche ? Ces questions font l’objet de recherches qui commencent à produire des résultats prometteurs.