L’énergie nucléaire et les arts
La puissance formidable de l’énergie nucléaire, tant pour produire que pour détruire, tout comme les effets spectaculaires, curatifs, toxiques ou tératogènes des rayonnements, ont profondément marqué les esprits par leur irruption récente et brutale. Partagées entre craintes et espoirs, nos imaginations ont créé autant de fantasmes que de récits visionnaires, mais il faut bien reconnaître que les images catastrophiques dominent largement chez les artistes, quelle que soit leur discipline.
Les romanciers produisent généreusement, citons les publications récentes de À crier dans les ruines d’Alexandra Koszelyk (2019) et de Les Mares-Noires de Jonathan Gaudet (2022). La chanson apporte également son tribut : de La java des bombes atomiques de Boris Vian (1955) à From Tchernobyl with love de La Femme (2014), en passant par Breathing de Kate Bush (1980). La bande dessinée s’empare diversement du thème : avec optimisme comme Tintin dans Objectif lune (1953), une certaine confiance avec Spirou et Fantasio dans L’Ankou (1986), ou une ironie désespérée comme la Québécoise Cab avec Hiver nucléaire (2018). La peinture et la sculpture sont plus hésitantes : Leda atomica et Dali atomicus (1949) affichent un aspect révolutionnaire, Nuclear energy d’Henry Moore (1963) est plus ambiguë ; restent quelques raretés telles les toiles de Charles Bittinger, ou une icône présente en 2021 à la messe commémorative de Tchernobyl. Quant à la photo, les œuvres sont plutôt caustiques ; Fluffy clouds de Jürgen Nefzger (2006) en est un bon exemple.
Le cinéma n’est pas en reste, de Au carrefour du siècle de Norman Taurog en 1947, jusqu’à A house of dynamite de Kathryn Bigelow (2025), des dizaines de films montrent les affres d’une guerre nucléaire, d’accidents de centrale ou de perte de contrôle de la radioacti-vité : Le dernier rivage de Stanley Kramer (1959), Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964), Le syndrome chinois de James Bridges (1978), Grand Central de Rebecca Zlotowski (2013). Quelques réalisateurs portent un regard historique sur des protagonistes, Radioactiv de Marjane Satrapi (2020), voire une fable héroïque, Armageddon de Michael Bay (1998), tandis qu’Oliver Stone documente la nécessité du nucléaire avec Nuclear Now (2022). Enfin, une curiosité symphonique tout droit venue d’Oak Ridge : Overture for the Dedication of a Nuclear Reactor d’Arthur Roberts (2024).
La fraîcheur de l’eau
Comment insérer une centrale nucléaire dans le paysage en donnant une image de douceur et de beauté ? se demandent EDF et le Département de l’Ardèche. Où trouver la surface à la mesure de mes rêves ? se demande le peintre Jean-Marie Pierret qui adéjà peint un géant sur le barrage de Tignes.
La plupart d’entre nous connaissent la réponse sur une tour de refroidissement de la centrale de Cruas-Meysse : une jeune enfant verse de l’eau avec une coquille, conjuguant le fonctionnement de la tour avec les éléments emblématiques des monts d’Ardèche, l’air et l’eau.
La mise en place sur la paroi s’est faite par pixélisation du carton en 533 000 pixels de 15x15cm calculés pour rétablir l’orthoscopie de l’image peinte sur la surface courbe et produire des guides à l’usage de 9 cordistes sur 3 nacelles, qui ont appliqué, en 3 mois, 8 tonnes de peinture acrylique sous la conduite de Jean-Marie Pierret.
Un cri d’effroi
À la fin des années 1940, Hiroshima, Nagasaki et les menaces de la guerre froide cristallisent les angoisses existentielles que Bernard Lorjou jette sur une vaste toile, bouleversé “qu’on envisage froidement d’utiliser la bombe atomique”.
Sa composition singulière nous aspire dans un mode où l’humain côtoie le monstrueux, où de mystérieux personnages s’effacent devant un cavalier de l’apocalypse, où le temps lui-même se fige, éclatant en une profusion d’instantanés de vie prête à se rompre.
Le parfait équilibre de ce chaos imminent nous glace.