La cybersécurité et les arts
L’effervescence actuelle en matière de cybercriminalité et de guerre hybride pourrait masquer l’ancienneté des tentatives pour s’introduire dans les systèmes d’information et en tirer profit. Ce fut le cas de François Blanc, fin mathématicien, de son frère jumeau Louis et de Pierre Renaud, ancien directeur du télégraphe de Lyon et excellent connaisseur du codage qui, en 1834, sont parvenus à pirater le télégraphe Chappe pour avoir un temps d’avance dans les transactions boursières bordelaises en faisant introduire de fausses corrections d’erreur par un complice à la station de Tours. Leur procès, conclu par un acquittement en raison du vide juridique, fut d’ailleurs à l’origine de la loi de 1837 sur le monopole public des télécommunications. Dumas a repris l’idée dans Le Comte de Monte-Cristo pour provoquer une convulsion boursière qui fait perdre une fortune à Danglars.
Inventeur de la roulette européenne, François Blanc a fait fortune en créant et exploitant des casinos (Hombourg ; Monte-Carlo). Amoureux des arts, ses bénéfices considérables lui ont facilité une activité de mécène, notamment pour l’achèvement de l’opéra Garnier.
Aujourd’hui, la multiplication des NFT d’art en vient à interroger les notions mêmes d’œuvre, de propriété et de valeur. Des hackeurs seraient-ils tentés d’y mettre un peu de désordre ? L’avenir tiendra à la solidité de la blockchain.
Un jeu d’enfant
Seattle à l’époque des jeux d’arcade, des lecteurs de “floppy 8” et des modems acoustiques. David, lycéen dilettante, s’entraîne chez lui à pénétrer des réseaux informatiques tant pour “corriger” ses notes sur celui du lycée que pour télécharger des jeux sans payer. Aboutissant sans le savoir sur l’ordinateur central du NORAD, il y lance pour jouer une application d’IA pilotant une riposte thermonucléaire. Se fiant aux écrans de la salle de contrôle, l’État-Major plonge dans une dramatique confusion entre simulation et réalité. Les missiles américains vont-ils anéantir l’URSS et réciproquement ?
Tout cela, bien sûr, finira bien, cahier des charges hollywoodien oblige. Mais si les matériels et les techniques ont changé de dimension depuis 40 ans, la problématique de ce genre d’intrusion n’a guère évolué, comme le montrent les performances épisodiques de jeunes hackeurs, de Kevin Mitnick à Jonathan James en passant par Richard Pryce.
John Badham mène le suspense avec savoir-faire selon les codes du genre puis fait tirer la morale de la fable par l’application stratégique elle-même : “Drôle de jeu où la seule façon de gagner est de ne pas jouer”.
Même avec sa quincaillerie vintage le film n’a pas pris une ride.
John Badham : War games – 1h44’ – 1983 – United Artists – 3 € en VOD
Confessions fatales
La perplexité le dispute à la curiosité quand le père Francis, curé d’une petite paroisse auvergnate, reçoit abruptement en confession un pirate de haut vol talonné par quelques porte-flingues de ses victimes.
Au fil des jours, Francis écarquille les yeux et les oreilles au récit des exploits de son mystérieux visiteur et cherche, au cours de longues soirées en ligne, à en apprendre un peu plus sur ce monde opaque.
L’imprudent !
Tout cela, bien sûr, finira mal mais pour la plus grande joie du lecteur, saisi par quelques péripéties et une chute magistrale.
Le catalogue des casses virtuoses analysés à l’ombre secrète du confessionnal donnerait des sueurs froides à tout DSI. C’est que notre camarade Pierre Raufast (N93) sait de quoi il parle, lui qui œuvre à la cybersécurité d’une grande entreprise. Et comme il ne manque ni d’imagination ni d’humour, la lecture de son roman – qui n’a rien perdu de son actualité – est jubilatoire.
La collision apparente de deux univers, celui aussi fragile que sophistiqué de la haute technologie et celui d’un petit village montagnard avec ses drôles de drames, ses vieilles dames plus ou moins dignes, ses énigmes et ses pots de miel est savoureuse.
Pierre Raufast : Habemus piratam – 228 p. – 2018 – Alma – 18,50 €