Un changement de paradigme qui répond à des enjeux de climat et de souveraineté
L’énergie nucléaire connaît depuis quelques années une nouvelle dynamique mondiale. Les États-Unis prévoient une multiplication par quatre de leurs capacités installées, renforcent les centrales existantes et remettent en service des réacteurs arrêtés. La Chine lançait 5 réacteurs par an avant le Covid. Elle en approuve le double chaque année depuis 2022 pour atteindre son objectif de multiplication par trois de ses capacités d’ici 2040. En Europe, 14 pays ont rejoint l’Alliance du Nucléaire, menée par la France. Certains le lancent, comme la Pologne, ou le développent, comme la Tchéquie ou la Slovaquie, quand d’autres – la Suède, la Belgique, les Pays-Bas et l’Italie – le relancent. Aujourd’hui, 40 pays dans le monde ont déclaré leur intérêt à disposer de cette technologie, alors qu’ils n’étaient que 15 en 2020. Quand l’Agence internationale de l’énergie (AIE) projetait en 2021 135 GW de nouvelles capacités d’ici 2050, elle en voit désormais pratiquement le double à peine quatre ans plus tard.
Cette relance s’est d’abord articulée autour de la décarbonation, au tournant des années 2020. Elle s’est accélérée sous l’effet des exigences de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement qui se sont imposées depuis le Covid et le déclenchement du conflit russo-ukrainien.
La France s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Avec des émissions de 4g CO2/kWh, les 57 réacteurs du parc nucléaire français sont le principal contributeur à la faible intensité carbone de l’électricité en France, environ 5 fois inférieure à la moyenne de l’Union européenne. La France dispose également avec son parc nucléaire d’un puissant atout économique. Des études récentes montrent qu’un mix à forte proportion de nucléaire présente le coût total du système le plus bas : une économie de 15 à 18 Mds€/an pour un mix à 50 % nucléaire en 2050 comparativement à un mix dont il serait absent. C’est un avantage compétitif essentiel, en particulier pour assurer notre réindustrialisation. De plus, cette technologie contribue à assurer la souveraineté du pays avec une chaîne de valeur – combustible, exploitation, ingénierie – largement domestique. Elle demande par ailleurs moins de minéraux critiques que d’autres technologies : un mix composé à 50 % de nucléaire requiert 4 fois moins de matériaux critiques qu’un mix sans nucléaire.
Cette dynamique s’est incarnée dans le discours de Belfort, prononcé par le Président de la République en février 2022, reposant sur trois volets : la prolongation de tous les réacteurs qui peuvent l’être sans rien céder sur la sûreté, la construction de 6 nouveaux réacteurs de grande puissance (EPR2), l’étude de 8 réacteurs supplémentaires et le développement d’une filière SMR. Ce nouveau paradigme inscrit dans la durée l’enjeu majeur de performance du nucléaire existant.
La performance du parc nucléaire français dans la durée : enjeu stratégique pour le pays
Cette priorité se décline à travers une série de projets industriels du parc existant. Lancé en 2019, le programme START 2025 vise à renforcer la maîtrise industrielle des arrêts de réacteurs pour maintenance et rechargement du combustible. Il commence à produire ses effets, avec un nombre d’arrêts dans les durées prévues multiplié par cinq entre fin 2022 et fin 2024 et un redressement de la trajectoire de production. START 2025 s’engage dans une nouvelle phase pour répondre aux défis futurs, dans un contexte d’activité industrielle particulièrement dense, portée notamment par le programme Grand Carénage. Ce programme lancé par EDF en 2015 vise à poursuivre l’exploitation des centrales au-delà de 40 ans. Parmi les plus importants programmes industriels en France, il est exceptionnel à la fois par son ambition de porter les centrales existantes au niveau de sûreté des réacteurs de 3e génération, par son ampleur industrielle mobilisant près de 50 000 emplois au sein de la filière nucléaire, et par l’ampleur des investissements, d’environ 5 Mds€ de dépenses annuelles.
Capitalisant sur ces actions, EDF a lancé, en lien avec l’ASNR, le projet Durée de Fonctionnement pour explorer les conditions qui permettraient la poursuite de l’exploitation des réacteurs au-delà de 60 ans, intégrant le contexte climatique projeté à cet horizon. L’enjeu est stratégique pour le groupe EDF et pour la France. Comme le rappelle l’AIE, augmenter la durée d’exploitation des tranches est le moyen le plus rapide et le plus économique de produire une électricité pilotable et décarbonée. C’est donc un levier clé pour assurer la souveraineté énergétique du pays tout en décarbonant son économie. Cet objectif est déjà largement mis en œuvre à l’international et notamment aux États-Unis : sur 93 réacteurs nucléaires actuellement en service, un fonctionnement jusqu’à 80 ans a déjà été validé pour 15 réacteurs et est à l’étude pour 10 autres.
La poursuite du fonctionnement est par ailleurs un levier de compétitivité pour les autres projets du parc nucléaire. Parmi ceux-ci, le projet CAMOX vise, avec une nouvelle gestion du combustible MOX, un allongement des durées des campagnes de 12 à 16 mois sur les tranches 900MW : cela signifierait moins d’arrêts pour rechargement du combustible, donc plus de production. Les augmentations de puissance des réacteurs existants sont déjà lancées ou à l’étude pour un potentiel supérieur à +1GW. Elles consistent notamment en la modification des turbines pour un gain de l’ordre de 30 à 40 MW selon les réacteurs. Associées à une poursuite de l’exploitation après 60 ans, elles constituent une solution de production d’électricité pilotable et décarbonée très compétitive. L’avenir de l’aval du cycle constitue un autre enjeu clé, sur lequel le Conseil de Politique Nucléaire (CPN) a engagé des études avec les acteurs de la filière : le thème est la poursuite de la stratégie de traitement-recyclage des combustibles usés, dans une perspective de fermeture complète du cycle.
Nucléaire et tissu industriel français, un destin commun
Rien de ce qui précède ne pourra se réaliser sans une industrie performante au meilleur niveau. La réindustrialisation est nécessaire au nucléaire, tout comme le nucléaire est nécessaire à la réindustrialisation.
La filière nucléaire française constitue un écosystème industriel dense, fort de 3200 entreprises, dont 85 % de TPE et PME, intervenant dans plus de 80 cœurs de métiers clés. Ce sont autant d’entreprises à la pointe de leurs savoir-faire pour répondre aux fortes exigences du nucléaire et qui entrent en synergie avec d’autres secteurs à forte valeur ajoutée, tels que l’aéronautique ou l’armement. C’est donc tout un tissu industriel qui sera porté par la relance du nucléaire, contribuant activement à la réindustrialisation du pays.
Le secteur du nucléaire représente aujourd’hui 220 000 emplois pérennes et hautement qualifiés, dont environ 95 000 ingénieurs et 60 000 techniciens, et qui contribuent à faire vivre les territoires. La relance du nucléaire nécessitera 100 000 recrutements sur 10 ans, spécialisés dans 20 segments d’activités dont l’ingénierie, le génie civil, la chaudronnerie, et le soudage. Autant de compétences techniques essentielles pour lesquelles il est indispensable de remettre en place des formations adéquates.
C’est donc un véritable destin commun qui unit l’industrie française et le parc nucléaire. Pour se relancer, le parc nucléaire requiert un tissu industriel robuste, lequel a besoin d’un parc performant pour bénéficier d’une électricité compétitive, bas carbone et souveraine.