“Maîtriser ces forces terrifiantes de destruction illimitée, voir cette stupéfiante invention se métamorphoser en une découverte humaine en passant par le filtre de notre génie national — cela ferait l’honneur de notre pays.” 1
C’est en ces mots que Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction et premier administrateur du Commissariat à l’Énergie atomique, décrivit les aspirations d’un grand programme lancé par le Général de Gaulle 10 jours plus tôt : mettre l’atome au service de la France, par tous les moyens et dans toutes ses applications, y compris civiles.
Huit décennies plus tard, le succès technique de ce programme est indéniable : nous produisons nuit et jour, toute l’année, une électricité décarbonée, nous garantissons la production d’isotopes médicaux et des bâtiments de la Marine nationale tranchent silencieusement les flots, projetant sur toute la planète les capacités nationales de dissuasion.
La filière nucléaire civile française représente aujourd’hui plus de 250 000 salariés et 2000 entreprises (dont 85 % de TPE et PME), plus de 30,5 Mds d’euros de valeur ajoutée produite en France en 2023. Les exportations nettes d’électricité ont atteint le niveau historique de 89 TWh en 2024, notamment grâce à la production d’origine nucléaire et contribuent favorablement à la balance commerciale de notre Nation à hauteur de 5 milliards d’euros. Elle permet à la France de disposer d’un des mix de production d’électricité les moins émetteurs de gaz à effet de serre au monde.
L’épopée nucléaire a façonné l’histoire de France. Pas seulement par ses réalisations techniques ou économiques, mais de manière plus profonde : elle a façonné notre rapport à la technique et à l’expertise, notre culture et contre-culture, nos mythes nationaux et notre démocratie2. L’énergie nucléaire constitue aujourd’hui un atout majeur pour la souveraineté énergétique de notre nation, garantissant un taux d’indépendance énergétique élevé permettant de se prémunir au mieux des aléas des marchés mondiaux de l’énergie et des risques géopolitiques associés.
Alors que les relations mondiales se tendent, que les démocraties européennes sont attaquées directement et indirectement, que de grandes ambitions de reconstruction animent le spectre politique et que la lutte contre le changement climatique devient une nécessité géostratégique, le nucléaire renaissant sera très certainement appelé à jouer à nouveau un rôle de catalyseur technique, social et politique.
Le Président de la République a fixé en février 2022 à Belfort trois axes pour le nouveau nucléaire civil français, vœux qui ont été renouvelés en Conseil de Politique Nucléaire en début d’année 2025 :
- Dénonciation de l’objectif de fermetures de centrales et étude de l’extension de la durée d’exploitation du parc actuel d’une part et annonce d’un nouveau programme de construction de 6 à 14 réacteurs EPR2 d’autre part ;
- Soutien public au développement d’une filière de petits réacteurs (SMR) ;
- Relance des travaux de la fermeture du cycle combustible.
Trois ans après ces annonces, il nous a paru pertinent de (re)découvrir l’état des lieux de la filière en cette fin d’année 2025 au travers de notre nouveau dossier ! Un dossier qui bien sûr ne prétend pas à l’exhaustivité, mais qui permet d’éclairer les grands enjeux du parc existant et de l’aval du cycle, tant technique qu’humains, sans oublier d’aborder le sujet prometteur des réacteurs de petite puissance (SMR et AMR).
Pierre-Marie Abadie (CM91), président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR) créée au 1er janvier 2025 sous sa forme actuelle, présente tout d’abord la nouvelle organisation et les orientations de l’autorité de sûreté française.
L’énergie nucléaire constitue aujourd’hui un atout majeur pour la souveraineté énergétique de notre nation.
Le parc électronucléaire est ensuite abordé sous différents aspects. François Dassa (P87), Paul de Montchenu (E99) et Sacha Maire présentent les grands enjeux qui structurent les travaux en cours et à réaliser sur le parc existant. Un de ces enjeux, qui s’invite désormais régulièrement dans les quotidiens hexagonaux, est l’adaptation du parc aux conséquences du changement climatique, en particulier le stress hydrique : Catherine Halbwachs et Bruno Le Corfec (P19) décryptent en détail ce sujet complexe et systémique. Enfin, Cyril Hisbacq (E90), directeur de la centrale nucléaire de Golfech, interviewé par Stella Criscuolo (E23), Eliot Subra (E23) et Clothilde Bukato (P17), présente avec passion le quotidien de son métier et des opérations effectuées dans une centrale. Car comme souligné dans le Grand Entretien de ce numéro : il faut savoir se concentrer sur le réel et le concret de l’industrie, ici dans l’opérationnel !
Le nucléaire français ne se limite bien sûr pas au parc électronucléaire ! Hugo Kreyder (X17/P18) présente les grands programmes du futur du retraitement des déchets nucléaires, socle indispensable à la fermeture du cycle du combustible. Les enjeux y sont similaires à ceux du parc : maintenir en exploitation les usines actuelles installées depuis plusieurs dizaines d’années et préparer la construction et la mise en service des nouvelles installations qui viendront en remplacement.
Le futur du nucléaire, ce sont aussi des enjeux de recrutement, de formation et d’ouverture de la filière à toutes et tous, en particulier aux jeunes et aux femmes. Lilia Bouraoui (ESPCI-P19) et Juliette Martin répondent aux questions de la Revue sur ces enjeux à l’intersection entre performance industrielle et justice sociétale.
Enfin, Corentin Loirs (P19) propose un panorama des SMR, une nouvelle catégorie de petits réacteurs qui cherchent à se tailler une place dans l’écosystème mondial du nouveau nucléaire.
Un dossier de la Revue ne saurait cependant se conclure sans le désormais traditionnel regard des jeunes promotions ! Stella Crisciolo (E23) et Thomas Chesseboeuf (P22) se sont prêtés à l’exercice, et témoignent de leurs motivations à étudier le Génie atomique et leurs raisons de commencer leur carrière dans la filière nucléaire.
Car malgré les ambitions, les financements, les avancées, les décisions au plus haut de sommet de l’État, le futur du nucléaire ne se fera pas sans sang neuf, sans une jeune garde ambitieuse prête à s’engager dans une aventure industrielle qui s’étalera au moins jusqu’au milieu du XXIIe siècle ! En effet, cher lecteur, le grand-père du dernier chef de quart du premier EPR2, qui devrait commencer à fonctionner vers 2035, n’est pas encore né à l’heure où ces lignes sont écrites !
Bonne lecture !