La conférence réunissait trois figures majeures du secteur : Jean-Pierre Clamadieu (P78 et CM81), président du Conseil d’Administration d’Engie et administrateur d’Airbus, parrain du club Mines Industrie ; Olivier Lluansi (CM92), ancien conseiller industrie et énergie à la Présidence de la République, directeur du Conservatoire National des Arts et Métiers, et Godefroy Beauvallet (CM94), DG de l’École des Mines de Paris. Tous trois ont rappelé le rôle que l’industrie a pu avoir pour structurer nos territoires et combien elle était aujourd’hui centrale pour répondre aux défis environnementaux et de souveraineté économique.
Les premiers évènements du club Mines Industries
- Conférence inaugurale le 6 mars 2025.
- Le 18 mars 2025 : visite du site Alstom de Crespin, un des plus importants sites ferroviaires en France.
- Le 14 mai 2025 : Table ronde / Le Lean en France : de la théorie à l’usine – avec Boris Evesque, directeur délégué Opérations TER Auvergne-Rhône-Alpes, Geoffroy Deudon (P00), directeur industriel du site Alstom de Crespin, et Godefroy Beauvallet (CM94), directeur de l’école des Mines de Paris.
- Le 27 juin 2025 : visite du site Constellium (anciennement Péchiney) de Neuf-Brisach, une fonderie d’aluminium parmi les plus importantes en France, où travaillent plus de 1600 personnes.
Renaissance industrielle plutôt que réindustrialisation
Olivier Lluansi a souligné que la période actuelle correspondait plus à une “renaissance industrielle” qu’à une “réindustrialisation”. En effet, il s’agit moins de ramener en France l’industrie qui a été délocalisée en Europe de l’Est et en Asie que d’en faire naître une nouvelle. Or, ce projet de renaissance industrielle, contrairement à de nombreux sujets qui animent notre vie politique, recueille le soutien de 90 % des Français (IFOP, 2024). Chacun trouve en effet dans l’industrie une réponse à ses préoccupations en matière de souveraineté économique, de cohésion territoriale ou de maîtrise de notre empreinte environnementale. Si la réindustrialisation fait consensus, le tableau se ternit légèrement sur le sujet de l’image des métiers industriels, dont les représentations semblent figées dans les années 80. Ce changement de perception passe selon lui par un mouvement d’ouverture des usines, qui a déjà commencé et qui porte ses premiers effets. La question n’est pas tant de savoir s’il faut ou non réindustrialiser le pays, mais plutôt de savoir quelles conditions permettront effectivement d’y parvenir. Olivier Lluansi a détaillé trois leviers à la réindustrialisation sur lesquels nous pouvons agir à l’échelle française.
Premièrement, il appelle les décideurs politiques à réaliser que le potentiel de réindustrialisation de la France se trouve moins dans les nouvelles filières industrielles et l’innovation de rupture que dans le tissu industriel existant. Ce dernier concentre en effet les 2/3 de notre potentiel de réindustrialisation. Olivier Lluansi prône un rééquilibrage des politiques industrielles de l’État dont le discours et l’essentiel de la ressource sont alloués à seulement un tiers du potentiel.
Postes vacants, formation et freins administratifs
Vient ensuite le sujet des formations. À l’heure actuelle, la France compte environ 60 000 postes vacants dans les métiers industriels. Ce déficit représente environ 5 à 6 milliards d’euros de valeur ajoutée en moins et 2 à 3 milliards d’euros de recettes fiscales pour l’État. Pourtant, la France forme chaque année 110 000 personnes aux métiers industriels, ce qui permettrait théoriquement de répondre à la demande. Olivier Lluansi explique ce paradoxe par des formations qui sont structurées par métier et par compétence et non par territoire. Or, cette organisation ne prend pas en compte la très faible mobilité géographique des Français qui préfèrent “changer de métier plutôt que changer de maison”. Il préconise des formations dans les territoires pour les besoins des territoires.
Enfin, Olivier Lluansi a rappelé combien les complexités administratives restaient un frein important à la réindustrialisation du pays. Et pourtant, de son expérience au service de l’État, il note que depuis 20 ans tous les gouvernements successifs ont engagé des chantiers de simplification administrative, sans résultat probant. Pour lui, ces blocages proviennent surtout d’une organisation de l’administration profondément ancrée qui doit être réformée. Il préconise un exercice de décentralisation en accordant des dérogations plus importantes aux préfets de région qui puissent faire valoir un intérêt régional ou un intérêt local sur les projets individuels.
Quelle serait alors une suite du récit de réindustrialisation ? Si 90 % des Français y sont favorables, les partis politiques sont également unanimes à son sujet. Les obstacles se situent essentiellement au niveau des décisions politiques et administratives. Traditionnellement peu habituée à intervenir publiquement, c’est au tour de la communauté industrielle de s’impliquer dans le débat public afin de lever les blocages.
L’industrie, des défis pour une aventure moderne
Justement, Jean-Pierre Clamadieu est intervenu en tant que parrain du club et a voulu souligner quelques défis que l’industrie rencontre aujourd’hui. Il est entré à l’École des Mines de Paris à un moment où le pays s’engageait dans de grandes aventures industrielles comme celles du TGV ou de la filière du nucléaire. Ces aventures ont marqué une carrière au cours de laquelle il a vu l’industrie structurer des territoires et agir comme un facteur de cohésion économique et sociale.
En 2020, Jean-Pierre Clamadieu a vu s’engager une dynamique de réindustrialisation, portée par des objectifs d’autonomie stratégique, de création de richesse et de cohésion sociale qui étaient partagés. Mais, depuis deux ans, cette dynamique est freinée par l’instabilité mondiale. Il a fait part de son désir de la voir rapidement repartir à la hausse pour répondre à deux grands défis auxquels nous sommes confrontés et pour lesquels la place de l’industrie est centrale.
Le premier défi concerne la transition énergétique et climatique. Sur ce point, l’Europe a pris des décisions en pointe qui nécessitent des investissements majeurs pour construire une industrie solide, capable de développer des produits compétitifs face à une concurrence mondiale très intense. Le second concerne les besoins croissants de l’industrie de défense européenne. Le contexte actuel nous oblige d’être capable de nous défendre et d’avoir une industrie qui puisse répondre à cette ambition. Sa conviction est qu’il y a un besoin urgent de développer une industrie crédible au service de la défense du continent et de la paix.
Ces deux défis doivent permettre à l’Europe d’agir comme un acteur central de la transition énergétique et climatique tout en lui permettant d’être capable de se défendre face aux menaces extérieures. L’industrie a un rôle majeur à jouer dans ces deux cas. Pour Jean-Pierre Clamadieu, rejoindre l’industrie, c’est rejoindre des aventures concrètes qui permettent de construire rapidement des projets qui contribuent à ces objectifs.
En guise de conclusion, et comme l’a souligné Godefroy Beauvallet, disons que si l’industrie n’est ni “moche” ni “sale” ni “loin”, elle peut surtout être magique – à condition d’avoir l’envie d’apprendre, les mains dans la matière et la tête dans les enjeux. Et ça tombe bien : c’est exactement ce que ce club a l’ambition de cultiver !
Rejoignez Mines Industries !
À l’issue de ce dossier, vous aurez compris que la période est charnière pour l’industrie française. La tension entre décarbonation et réindustrialisation encourage un développement industriel national au service de notre souveraineté, mais qui doit être respectueux de l’environnement. Or nous, étudiants aux Mines de Paris, comme d’autres étudiants ingénieurs, sommes assez sensibles à ces sujets : le travail des associations et les cours prodigués à l’école permettent de saisir l’ampleur de l’enjeu climatique en particulier.
Aussi, de nombreux élèves sont à la recherche d’un certain alignement entre leur vie professionnelle et leurs convictions écologiques. Ils cherchent à s’engager, à donner du sens à leur travail. On pourrait alors penser que l’industrie est un débouché naturel pour un jeune diplômé des Mines. Mais ce n’est pas le cas : en 2023, seulement 14 % des Mineurs choisissent l’industrie manufacturière, derrière le numérique (21 %), l’énergie (18 %) et le conseil (16 %). Qu’est-ce qui peut bien expliquer ce phénomène ?
Tout d’abord, travailler dans l’industrie n’est pas toujours compatible avec le cadre de vie auquel aspirent les jeunes diplômés. Pour l’essentiel, ils choisissent de s’installer durablement à Paris ou dans d’autres métropoles où les activités industrielles sont moins développées que les services. Le télétravail est souvent un avantage recherché, qui a moins de sens lorsqu’on travaille sur une ligne de production. Ensuite, l’industrie souffre à tort d’une image négative, associée au productivisme et à l’exploitation de la planète et des travailleurs. Cette vision de l’usine sale et dangereuse, héritée de Zola, ne correspond plus du tout à la réalité – mais elle n’a pas pour autant quitté l’imaginaire collectif. Enfin, pour les futurs ingénieurs des Mines de Paris, l’industrie manufacturière propose des salaires inférieurs à d’autres secteurs, comme le numérique et la finance.
Mais l’industrie possède d’autres arguments. Elle propose des métiers pragmatiques, au plus près de la transformation de la matière : c’est pourquoi les ingénieurs qui y travaillent ont l’impression de contribuer à un projet concret et utile. Travailler dans l’industrie c’est aussi développer un contact humain avec des profils différents, de l’opérateur au directeur d’usine. Les ingénieurs occupent très vite des postes de management, qui leur permettent de développer leur leadership et leurs qualités relationnelles. Enfin, l’industrie est un secteur exigeant où règne une culture de la performance qui permet de se challenger continuellement.
L’idée que se fait le public de l’industrie n’est donc pas très représentative. C’est pourquoi nous avons souhaité communiquer notre intérêt à nos camarades, inspirés par les initiatives qui fleurissent pour porter haut les enjeux industriels. Nous avons créé le club professionnel Mines Industrie, dont l’objectif est double. D’une part, avec des évènements à l’école, nous voulons faire connaître les enjeux et les grandes dynamiques à l’œuvre en donnant la parole aux acteurs de l’industrie. D’autre part, via des visites d’usines, nous incitons les industriels à ouvrir leurs portes pour montrer aux futurs ingénieurs à quoi ressemble l’industrie d’aujourd’hui : un haut lieu d’innovation et d’impact où les gens sont fiers de ce qu’ils produisent.
Avec cette initiative fidèle à la devise de l’école mêlant “théorie et pratique” nous espérons sensibiliser les Mineurs, élèves comme Alumni, à l’immense potentiel de l’industrie.