La décarbonation de l’industrie s’inscrit dans une triple ambition stratégique : réduire la dépendance aux énergies fossiles, que nous importons aujourd’hui massivement, renforcer la souveraineté industrielle et sécuriser la compétitivité des entreprises face à l’augmentation du coût du carbone. Pour les entreprises, sortir des énergies fossiles est un levier essentiel qui renforce leur résilience face aux chocs énergétiques, améliore leur compétitivité à mesure que le prix du carbone augmente, et devient un facteur d’attractivité croissant pour les talents sensibles aux enjeux environnementaux. Dans un contexte de reconfiguration géopolitique et énergétique, la décarbonation s’impose ainsi comme une condition de survie et de prospérité pour l’industrie française, et un mouvement qui participe directement à la protection de nos intérêts économiques et géopolitiques.
L’industrie représente aujourd’hui environ 20% des émissions territoriales françaises (qui totalisent 366 MtCO2e en 2024¹). Depuis 1990, les émissions directes du secteur ont diminué de 45%, principalement grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique (ex : récupération de chaleur fatale). Contrairement à une idée reçue, la désindustrialisation n’a eu qu’un effet secondaire dans cette dynamique². En parallèle, l’empreinte carbone associée aux importations a toutefois augmenté², ce qui renforce l’intérêt d’une dynamique de réindustrialisation puisque la production nationale, portée par un mix énergétique faiblement carboné, présente une intensité carbone nettement inférieure à celle de nos importations. Relocaliser en France est donc un moyen efficace de réduire à la fois notre empreinte carbone et les émissions mondiales.
Alors qu’une majorité des gisements d’efficacité énergétique ont été atteints, la poursuite de la décarbonation repose désormais sur des leviers qui ne sont pas spontanément rentables pour les industriels (électrification, substitution de combustibles fossiles par des gaz décarbonés tels que l’hydrogène bas carbone ou le biogaz, capture du carbone pour les émissions de process qui ne peuvent être réduites autrement…). Or, la mobilisation massive de ces leviers est essentielle pour accélérer la dynamique déjà enclenchée et atteindre nos objectifs ambitieux de décarbonation³ en évitant les délocalisations face à la hausse du coût du carbone sur le marché européen. Une intervention publique volontariste sous la forme de subventions est donc nécessaire pour réussir cette transformation.
Les initiatives publiques pour la décarbonation
Face à cet enjeu, l’État est intervenu dès 2020 avec le plan France Relance, mobilisant 1,2 Md€ pour soutenir près de 250 projets de décarbonation industrielle permettant d’éviter en cumulé environ 5 MtCO2e par an, soit près de 20% du chemin à parcourir à horizon 2030. Cette action a été amplifiée avec France 2030 (voir encadré), qui consacre plus de 4 Md€ à la décarbonation de l’industrie, en ciblant prioritairement les secteurs stratégiques tels que l’acier, la chimie, le ciment et l’aluminium. Une enveloppe supplémentaire de 1,6 Md€, en ligne avec les besoins estimés par les travaux de planification, a été activée en 2025 pour soutenir les plus grands projets industriels de décarbonation grâce à un appel d’offres concurrentiel inédit opéré par l’ADEME⁴.
Pour maximiser l’impact des aides de l’État, limiter le risque de surfinancement et optimiser l’efficacité des fonds publics, la sélection des projets soutenus repose sur une analyse rigoureuse de leur coût d’abattement⁶ carbone. En conséquence, le coût d’abattement moyen constaté pour les dispositifs de soutien public est extrêmement faible, de l’ordre de 30€/tCO2e².
Les ZIBAC
L’appel à projets Zones Industrielles Bas Carbone (ZIBaC) a pour objectif d’accélérer fortement la décarbonation à l’échelle des grandes zones industrielles, en favorisant les synergies et les coopérations d’acteurs. À travers ce programme dont les 11 hubs nationaux les plus émetteurs de gaz à effet de serre sont lauréats à l’instar de Dunkerque ou de Fos-sur-Mer, l’État s’engage pour accompagner des territoires pionniers dans leur transformation bas-carbone afin de gagner en compétitivité et en résilience.
Planification stratégique et territoriale
Mais le soutien public, loin de se limiter à l’octroi de financements, s’accompagne aussi d’une planification stratégique. L’État et les 50 sites industriels les plus émetteurs (représentant plus de 50% des émissions de l’industrie) ont ainsi élaboré conjointement des feuilles de route individuelles de décarbonation pour établir avec précision le chemin permettant d’atteindre les objectifs de décarbonation à horizon 2030, et les besoins associés. Cette approche est complétée par une planification territoriale des infrastructures nécessaires, notamment en matière d’hydrogène bas carbone, de captage-stockage du CO2 et de raccordements électriques, afin de structurer des hubs de décarbonation régionaux⁵ (voir encadré ZIBaC).
La décarbonation de l’industrie apparaît ainsi non pas comme un coût subi, mais comme un levier stratégique au service de la réindustrialisation. En intégrant pleinement la transformation écologique dans son projet industriel, la France renforce sa souveraineté, anticipe les mutations de la compétitivité mondiale et ouvre de nouveaux marchés technologiques clés pour la neutralité carbone.
France 2030 : 54 milliards d’euros
Doté de 54 milliards d’euros, le plan France 2030 soutient la transformation des secteurs stratégiques de notre économie, avec 50% des fonds dédiés à la décarbonation de l’économie et 50% aux acteurs émergents. Pensé collectivement, France 2030 est mis en œuvre en concertation avec les acteurs économiques, académiques et territoriaux, à travers des procédures ouvertes et sélectives.