Également diplômé HEC, Cyril Hisbacq (E90) débute sa carrière à EDF en 1994 en tant qu’ingénieur puis chef d’exploitation à la centrale nucléaire de Saint Laurent des Eaux (Loir-et-Cher).
Il rejoint en 2002 la centrale de Penly (Seine-Maritime), puis celle de Fessenheim (Haut-Rhin) en 2006 comme chef du service Conduite (pilotage et surveillance des réacteurs).
En 2010, il rejoint la production hydraulique d’électricité, d’abord dans les Alpes, puis à Marseille, avec pour mission nationale de faire évoluer les pratiques managériales vers plus de confiance, de responsabilisation et de collaboration au sein des équipes.
Il est directeur de la centrale nucléaire EDF de Golfech depuis le 1er juillet 2020.
À quoi sert un directeur de centrale nucléaire ?
À beaucoup de choses ! Il incarne avant tout le “patron” d’un vaste site industriel, dont l’importance dépasse largement les frontières locales. Avec ses 2 réacteurs, la centrale nucléaire de Golfech assure chaque année une production moyenne de 15 à 20 térawattheures d’électricité bas carbone, soit l’équivalent de près de la moitié de la consommation électrique de la région Occitanie. Les 1000 salariés qui y travaillent au quotidien en font le premier employeur industriel du Tarn-et-Garonne.
Le directeur d’une centrale assume de multiples responsabilités, parmi lesquelles figurent en première ligne la sécurité du personnel, la sûreté nucléaire et la préservation de l’environnement. Ces missions exigeantes requièrent une vigilance constante, dans le cadre de notre mission de service public de l’électricité.
Pourriez-vous nous décrire une journée type ?
Il n’en existe pas vraiment, et c’est précisément ce qui rend cette fonction captivante. Le quotidien est rythmé par le fonctionnement de nos installations, notamment nos deux réacteurs de 1300 MW. En tant que directeur, il est essentiel de maintenir une forte présence sur le terrain, au contact des femmes et des hommes du site, et de garder un ancrage opérationnel solide. Ainsi, je me rends régulièrement sur les chantiers de maintenance ou d’exploitation, et je participe fréquemment à des réunions, qu’elles soient opérationnelles ou managériales, dans les différents services. Tout comme les directeurs des autres centrales d’EDF, je participe également au comité de direction du parc nucléaire qui a lieu chaque mois, à Paris.
Par ailleurs, au moins 20 % de mon temps est consacré aux relations extérieures. Cela inclut des échanges avec les services de l’État, les élus, les acteurs du territoire, les médias ainsi que l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) avec laquelle le dialogue est constant et essentiel.
Quel rôle jouez-vous vis-à-vis du territoire ?
La centrale nucléaire de Golfech occupe une place prépondérante dans le tissu économique régional, tant par son envergure que par les investissements considérables engagés par EDF pour prolonger la durée d’exploitation de ses installations dans le cadre du Grand Carénage. Il s’agit d’un programme industriel national visant à rénover et moderniser le parc nucléaire existant. À Golfech, le Grand Carénage représente un investissement d’un milliard d’euros sur 5 ans (2020 à 2025). L’objectif initial était d’allouer 30 % de ces dépenses aux entreprises du territoire, soit 300 millions d’euros sur 5 ans. Bonne nouvelle : cet objectif a été largement dépassé, comme en témoignent les 440 millions de commandes à des entreprises du territoire depuis 2020.
Au-delà du développement économique, la centrale s’engage dans le domaine de l’emploi. Avec le concours de France Travail et de l’association régionale des partenaires de l’industrie nucléaire GIE Atlantique, plus de 350 personnes ont retrouvé une activité professionnelle à la centrale dans le cadre du Grand Carénage.
Au sein d’EDF, c’est une cinquantaine de métiers qui se côtoient tous les jours. Les opportunités d’emplois sont donc bien présentes. Parce que l’alternance et les stages ouvrent la voie vers le monde professionnel et contribuent à la pérennisation des compétences et du savoir-faire, nous accueillons chaque année une cinquantaine d’alternants et de stagiaires. Nous développons des partenariats actifs avec les universités et les lycées techniques de la région. L’objectif : participer à la formation des talents de demain et renforcer le lien entre l’industrie et le monde académique.
Comment devient-on directeur de centrale ?
Il n’existe pas de parcours prédéfini pour accéder à la fonction de directeur de centrale. Toutefois, il est fréquent que ce poste soit occupé par des ingénieurs de formation, ce qui constitue un atout pour maîtriser les enjeux complexes liés au fonctionnement d’une installation nucléaire.
Au fil des années, ce socle s’enrichit ensuite d’expériences variées, acquises au sein des différentes entités de l’entreprise, et marquées par une montée progressive en responsabilités. Pour ma part, j’ai toujours été animé par un intérêt profond pour le management. Dès mon premier entretien d’embauche chez EDF, il y a plus de trente ans, j’ai exprimé le souhait d’exercer des fonctions à forte responsabilité, offrant de réelles marges de manœuvre. Cette aspiration m’a conduit à évoluer sur des périmètres de plus en plus étendus, jusqu’à la position que j’occupe aujourd’hui.
Quels sont les projets en cours à Golfech ?
Dans le cadre du Grand Carénage, nous sommes sur le point de finaliser la troisième visite décennale du réacteur 2 de la centrale. Cette étape essentielle dans la modernisation des installations permet d’en renforcer la sûreté grâce au retour d’expérience accumulée tant au niveau national qu’international.
À cette occasion, près de 2500 salariés ont été mobilisés pour réaliser plus de 20 000 opérations de maintenance et d’essais, ainsi que 91 modifications majeures. Parmi les essais emblématiques réalisés durant la visite décennale figurent le contrôle approfondi de la cuve du réacteur, l’épreuve hydraulique du circuit primaire, soumis à une pression de 206 bars, bien supérieure à sa pression nominale d’exploitation de 155 bars, ainsi que le test d’étanchéité de l’enceinte de confinement. À l’issue de ces vérifications et modifications, la centrale ressort plus robuste, plus fiable et, sous réserve de l’accord de l’ASNR, apte à poursuivre son exploitation pour une décennie supplémentaire.
Comment travaillez-vous avec l’ASNR ?
Les relations avec l’ASNR revêtent une importance capitale. La sûreté des installations et la radioprotection du personnel constituent les fondements de notre engagement quotidien. C’est dans cet esprit de rigueur et de transparence que nous procédons à l’auto-déclaration de tout écart aux règles en vigueur, même lorsqu’il est sans incidence sur la sûreté, la sécurité, la santé des salariés et l’environnement.
L’ASNR mène chaque année à Golfech près d’une vingtaine d’inspections, planifiées comme inopinées. À l’issue de chacune d’elles, une lettre de suite est rédigée, précisant les observations et les éventuelles demandes formulées par l’autorité. Nous nous conformons scrupuleusement à ces recommandations et aux actions correctives qu’elles impliquent.
Nous entretenons des liens étroits reposant sur une relation de confiance et de dialogue permanent, rendue possible grâce à la présence, au sein de la centrale, de deux ingénieurs spécifiquement dédiés aux échanges avec l’ASNR.
Comment organisez-vous la gestion des différentes échéances temporelles ?
Nous adoptons une approche pluriannuelle dans la planification de nos activités, afin d’en assurer la fluidité et la cohérence. Cette vision d’ensemble nous permet de répartir les opérations de maintenance corrective et préventive, les campagnes d’essais, les renouvellements de combustible, ainsi que les visites décennales.
Trois types d’arrêts de réacteur structurent notre calendrier, chacun répondant à des exigences spécifiques et à des durées variables : les arrêts simples pour rechargement (ASR), les arrêts pour maintenance et rechargement (VP), et enfin les arrêts décennaux (VD), véritables jalons techniques et réglementaires dans la vie d’un réacteur.
Toute notre organisation est articulée autour de la réussite de ces arrêts, qui mobilisent de multiples compétences et une coordination rigoureuse, dans le respect des standards les plus exigeants en matière de sûreté et de performance industrielle.
Quels sont les avantages et inconvénients d’être intégré à un grand parc de production nucléaire ?
Faire partie d’un grand parc de production constitue indéniablement un atout pour chaque centrale. Cette organisation nous permet de mobiliser des ressources considérables et de répondre avec efficacité lorsque des difficultés surviennent. À titre d’exemple, la crise liée à la corrosion sous contrainte a pu être résolue dans des délais remarquablement courts grâce à la mobilisation conjointe d’expertises scientifiques, techniques et industrielles de haut niveau.
En contrepartie, cette logique de parc implique une solidarité entre les différentes unités de production, ce qui peut limiter notre autonomie locale. Nous ne gérons pas un ensemble de PME indépendantes, mais contribuons à un parc de production solidaire.
Par ailleurs, notre volonté d’amélioration continue nous conduit à entretenir des échanges réguliers avec les exploitants internationaux. Ces interactions nous permettent de comparer nos pratiques, d’intégrer des regards extérieurs et de bénéficier de l’expertise de nos homologues étrangers.
La véritable fierté d’EDF réside dans la performance collective de son parc nucléaire.
Comment intégrez-vous la question du réchauffement climatique sur le long terme ? Observez-vous déjà des impacts concrets ?
Conçu pour résister à des conditions météorologiques extrêmes (canicules, sécheresses, crues), le site de Golfech, comme les autres centrales nucléaires, bénéficie de marges importantes de sécurité en conception. Toutefois, depuis sa mise en service il y a plus de trente ans, plusieurs adaptations ont été réalisées pour tenir compte de l’évolution du climat, notamment dans le cadre du Plan Grand Chaud initié après les épisodes de 2003 et 2006.
EDF mène aujourd’hui le programme ADAPT, visant à renforcer la résilience de ses installations à l’horizon 2050. Certaines innovations seront déployées rapidement, d’autres lors des prochaines visites décennales, dont la préparation est déjà engagée.
Au quotidien, EDF s’appuie sur des prévisions météorologiques et hydrologiques en temps réel, permettant d’anticiper les épisodes de sécheresse ou de canicule. À Golfech, la production peut être ajustée en été lorsque la température de la Garonne atteint 28°C, conformément à l’arrêté environnemental en vigueur. Si l’impact sur la production reste limité à ce jour, nous nous préparons à une intensification de ces phénomènes.
En 2024, 4500 personnes ont été recrutées dans le nucléaire, et cette tendance va continuer de croître. Comment assurez-vous le renouvellement des compétences ?
Nous œuvrons activement sur le territoire pour faire connaître nos métiers, les formations qu’offre le secteur du nucléaire, ainsi que les opportunités d’emploi. À titre d’exemple, nous nous sommes impliqués pour soutenir et promouvoir le Bac Pro Technicien en chaudronnerie industrielle, lancé au Lycée Jean Baylet de Valence d’Agen à la rentrée 2025. Il y a plusieurs années, nous avons également cofondé avec l’université Paul Sabatier de Toulouse un master dédié à l’industrie nucléaire. Nous mobilisons aussi régulièrement un réseau d’Alumni de la centrale pour renforcer nos liens avec les établissements d’enseignement supérieur.
La valorisation des métiers de l’industrie auprès des jeunes et de leurs familles est essentielle. C’est pourquoi nous participons chaque année à des salons, organisons des visites pédagogiques et menons des actions ciblées pour susciter des vocations et favoriser la féminisation de nos équipes, qui comptent aujourd’hui moins de 20 % de femmes à Golfech.
Quelles sont les prochaines grandes échéances pour Golfech ?
Une fois le réacteur 2 reconnecté au réseau, ce qui interviendra très prochainement, nous tournerons définitivement la page des troisièmes visites décennales à Golfech, pour ouvrir celle des quatrièmes visites décennales prévues à partir de 2032. D’ici là, le site connaîtra d’autres arrêts pour maintenance et rechargement du combustible, de type ASR ou VP.
À plus long terme, Golfech est également évoqué comme site potentiel pour l’accueil de nouveaux réacteurs EPR 2. Bien qu’aucune décision ne soit arrêtée, une telle perspective représenterait une formidable opportunité pour le site et pour l’ensemble du territoire.
Quelle a été votre expérience la plus marquante à ce poste ?
Je voudrais partager une expérience particulièrement positive. Il y a un an, la centrale a fait l’objet d’une Peer Review menée par la WANO (World Association of Nuclear Operators), un exercice qui se tient tous les quatre ans. Durant cette revue, notre site a été soumis à un examen rigoureux par des experts venus du monde entier.
À l’issue de cette évaluation approfondie, nous avons reçu un retour très favorable, saluant la qualité de notre organisation et de nos pratiques. Ce résultat est venu couronner des mois et des années de travail intense : un véritable moment de joie collective !