Qu’est-ce qui t’a motivé à commencer des études d’ingénieur après 3 années d’études de médecine ?
Je n’ai pas choisi la médecine en pensant que j’allais me retrouver en ingénierie par la suite, je ne savais même pas que cela était possible. Cependant, cela tombait bien, car je cherchais une complémentarité. Le domaine de la santé me passionne, c’est ce que j’adore faire et étudier. Mais en médecine, il y avait beaucoup d’apprentissages, ce qui laissait moins de place à la réflexion et à l’innovation, des éléments que l’on retrouve, au contraire, dans des études d’ingénieur.
Parallèlement à mes études de médecine, j’avais des idées de projets alliant ingénierie et médecine, mais je pensais ne pas avoir les compétences nécessaires en mécanique et en électronique. Je me suis donc dit qu’intégrer une école d’ingénieurs serait une occasion parfaite pour concrétiser ces projets. En effet, au cours de mes formations, j’ai appris à identifier les problèmes rencontrés en médecine et par les patients à l’hôpital ; j’ai également vu ce qu’était la biologie et les méthodes de recherche associées à l’ENS au sein de la promotion Médecine-Sciences 2021. Cependant, pour développer des solutions efficaces à ces problématiques, j’ai immédiatement pensé que l’ingénierie serait un atout précieux.
Au-delà de cela, le fait qu’il y ait un concours pour intégrer les Mines m’a également motivée. J’avoue que ce challenge a éveillé ma curiosité et stimulé mon esprit de compétition.
Quels ont été tes premiers ressentis en rejoignant les Mines ?
Au début, j’ai eu un peu peur parce que je n’avais pas fait math sup/maths spé. J’ai donc dû apprendre le programme pour passer le concours d’admission parallèle aux Mines de Paris.
On me dit souvent que j’ai le syndrome de l’imposteur, mais je ne pense pas. Je n’avais pas vos connaissances ni en mathématiques ni en physique, alors je craignais d’être complètement larguée. Les premiers cours ont été un peu difficiles, mais ensuite, heureusement, j’ai pris quelques modules qui étaient moins techniques et ça m’a rassurée. Je ne me suis pas lancée dans la programmation ou le numérique pour ne pas trop m’effrayer non plus.
Maintenant, ça se passe mieux et quand il s’agit d’un cours dans le domaine médical encore plus. Je me sens alors beaucoup plus légitime et j’ai l’impression de pouvoir également aider les autres en leur apportant une vision différente.
Trouves-tu que l’offre de formation dans le domaine de la santé est assez développée aux Mines de Paris pour une école d’ingénieurs ?
Oui, je pense que ce qui est proposé dans le cycle Ingénieur Civil aux Mines de Paris en lien avec la santé est intéressant, surtout pour une école généraliste. Cependant, je trouve que le forum entreprises de l’école ne présente pas assez d’entreprises de la santé. Je comprends qu’on ne soit pas majoritaire à vouloir s’orienter dans ce domaine, mais il manque beaucoup de grands acteurs du secteur médical.
Quels sont les aspects les plus stimulants de ce double parcours ? Y a-t-il des complémentarités ou des synergies ?
Ce que je trouve assez stimulant dans ce double parcours, c’est vraiment d’avoir les deux casquettes et de pouvoir passer de l’un à l’autre, de comprendre aussi bien le vocabulaire des ingénieurs que celui des médecins et ainsi pouvoir faire le pont entre les deux. Le plus intéressant est selon moi de pouvoir apporter un point de vue à la fois médical chez les ingénieurs et technique chez les médecins en fonction des projets.
Au-delà de ça, j’ai également l’impression d’avoir acquis une vision beaucoup plus globale et complète, qui me permet de me surpasser lorsque je dois développer de nouveaux projets. Que ce soit pour des problèmes dans le secteur médical, mais aussi pour un secteur différent. Sans le savoir, j’ai commencé à développer une approche similaire à celle du biomimétisme, discipline qui s’inspire du vivant pour répondre à des problèmes technologiques.
J’ai également adoré découvrir toutes les biotechnologies, parce qu’on n’en parle que superficiellement en médecine, et pas de la manière dont les professeurs des Mines nous l’exposent. J’ai notamment découvert la bio-impression permettant la régénération d’organes, les nanoparticules multifonctionnelles, les organes sur puce, et j’en passe. J’ai trouvé ces innovations fabuleuses et brillantes ! Ça m’a tellement plu que j’ai décidé de faire un master 2 en Biomatériaux et Dispositifs médicaux au BME-Paris (BioMedical Engineering) durant ma césure des Mines, ce qui m’a permis d’en apprendre plus sur ces domaines.

Les quelques matières communes aux deux formations sont-elles abordées de la même manière ?
On retrouve quelques différences. Prenons l’exemple de la physique. En médecine, elle porte beaucoup sur la mécanique des fluides, les écoulements pour le sang, sa viscosité, mais également des notions d’électrostatique, ou encore de radioactivité. Il s’agit donc bien dans le fond de notions similaires à celles d’ingénierie, mais avec des applications médicales.
Et au-delà de ça, on n’acquiert pas une réelle compréhension de la physique en médecine ; pour beaucoup, on retient par cœur les formules et on les applique. On apprend à analyser et interpréter les résultats, mais on ne sait pas vraiment leurs origines au fond. Alors que vous, les ingénieurs issus de prépa, vous en avez un peu bavé, mais au moins, pour la plupart, vous savez d’où viennent les résultats et comment les démontrer.
Les étudiants en première année de médecine n’ont qu’un an pour passer un concours qui contient beaucoup de matières, avec peu de temps et beaucoup de chapitres, et ça les pousse au bachotage.
Comment les cursus de médecine, d’ingénierie et de biologie s’articulent-ils dans ton parcours ?
De manière générale, en arrivant aux Mines, j’ai trouvé que l’emploi du temps était assez léger, voire un peu lacunaire comparé à la charge de travail en médecine. Cependant, mon parcours médical m’a appris à maintenir un rythme de travail intense, ce qui m’a permis d’avancer rapidement et efficacement dans le cadre des études d’ingénieur.
Aux Mines de Paris, j’ai naturellement orienté mes choix vers des cours en lien avec la santé, notamment le trimestre recherche en santé en deuxième année et l’option santé en dernière année. Durant le trimestre recherche, j’ai choisi de me concentrer sur des thématiques qui m’intriguaient particulièrement, et c’est à ce moment-là que j’ai découvert la médecine régénérative et l’impression 3D.
À la fin de cette expérience, mes professeurs m’ont parlé du Master 2 Biomatériaux et Dispositifs médicaux au BME-Paris (BioMedical Engineering). J’ai décidé de le suivre durant mon année de césure, entre ma 2A et ma 3A. Cette année a été une véritable révélation : elle a parfaitement combiné tout ce que j’avais appris en médecine, en biologie, et en ingénierie.
Le master rassemblait des étudiants aux profils variés (ingénieurs, biologistes, chimistes), ce qui rendait les projets de groupe particulièrement enrichissants. Chacun apportait des compétences uniques, et cette diversité m’a permis de constater à quel point la collaboration interdisciplinaire est essentielle pour relever les défis complexes du domaine médical.
Quel regard portes-tu sur la place des ingénieurs dans le monde médical ? Quels rôles peuvent-ils jouer selon toi ?
Les ingénieurs sont indispensables dans le monde médical, mais leur contribution optimale nécessite un équilibre et une collaboration étroite avec le corps médical. Travailler dans ce domaine présente de nombreux défis pour eux : maîtriser un vocabulaire spécifique, comprendre les besoins et attentes des patients, et s’adapter à la diversité des acteurs impliqués.
Un ingénieur, seul, rencontrera des difficultés à concevoir un produit véritablement performant et adapté. La connaissance médicale est essentielle pour mener un projet à terme. En effet, si un ingénieur excelle dans la conception d’un objet ou la gestion d’un projet, il doit s’assurer que ce produit répond à un besoin réel et pourra être utilisé efficacement.
Prenons l’exemple d’un biomatériau : il est crucial d’évaluer s’il pourrait déclencher une réaction inflammatoire ou être rejeté par l’organisme. Ces aspects nécessitent des bases solides en biologie et en santé, sans lesquelles le projet ne pourra pas aboutir pleinement. Je pense que l’interdisciplinarité est donc la clé d’un projet réussi dans le domaine médical.
Quels sont tes plans pour la suite ? Envisages-tu déjà un domaine précis où tu pourrais combiner médecine et ingénierie ?
Je suis en dernière année aux Mines de Paris, ainsi, pour mon stage de fin d’études, j’envisage de travailler dans le domaine du venture capital, au sein d’un fonds spécialisé dans les start-ups en santé, pour aider au choix des investissements.
Cela peut sembler étonnant, mais je suis à un stade où je ne sais pas encore précisément quel métier je souhaite exercer dans le secteur de la santé. Je ne veux ni m’engager dans six années supplémentaires en médecine ni me lancer dans une thèse pour travailler sur un seul projet de recherche. Ce qui me correspond, c’est d’avoir un profil polyvalent, comme un couteau suisse, capable de s’adapter à différents environnements sans appartenir complètement à une seule catégorie.
Grâce au venture capital, je pourrai apporter l’expertise que j’ai accumulée sur le secteur de la santé et des technologies associées, tout en développant une compétence essentielle : comprendre les mécanismes qui font qu’une start-up réussit ou non.
Ce stage me permettra alors d’ajouter une nouvelle dimension à mon parcours, celle du business et de la finance. Ainsi, si je décide que le venture capital n’est pas ma vocation à long terme, je pourrai toujours me tourner vers une start-up qui m’aura inspirée lors de mes analyses ou, idéalement, lancer ma propre start-up, avec toutes les cartes en main pour la faire prospérer.
Que dirais-tu aux étudiants des Mines de Saint-Étienne, Nancy et Paris qui hésitent à faire ton parcours dans le sens inverse et à rejoindre un cursus de médecine ?
Ça peut être très long et difficile si on n’a pas la patience et la passion, c’est une décision qu’il ne faut pas prendre à la légère. Mais la finalité est magnifique ! Être médecin, est un métier remarquable, et les matières enseignées sont passionnantes.
Cependant, il ne faut pas faire ses choix en se disant que tel ou tel parcours est la voie royale ou au contraire ne l’est pas, je pense que ça n’existe plus à notre stade. Je les encourage donc à faire ce qu’ils aiment et à ouvrir les yeux sur ce qui est aussi fait pour eux. En trois mots : il faut s’écouter.